Après l’arrivée de Brian Mulroney à Ottawa, les libéraux lui avaient tendu un piège : une motion pour dénoncer le gouvernement conservateur du Manitoba qui restreignait l’accès à l’école en français.

Ses rivaux espéraient le mettre dans l’embarras. S’il acceptait la motion, il critiquait un membre de la famille conservatrice. S’il la rejetait, il s’aliénait les francophones.

C’était sous-estimer M. Mulroney. Pour lui, il n’y avait pas de débat à faire. Face à un caucus hésitant, il a mis son pied à terre. Il était venu pour devenir premier ministre, et cela exigeait de défendre des principes comme les droits des francophones. La manigance de ses adversaires s’est donc dégonflée.

Cette anecdote, comme tant d’autres, donne une idée de la méthode Mulroney. Par son charisme, sa droiture et son autorité naturelle, il savait arriver à ses fins.

La politique est aussi une affaire de style, et celui de M. Mulroney était splendide.

La politique n’est pas qu’une lutte de pouvoir et un débat d’idées. Son histoire est aussi une histoire de relations personnelles. Les aptitudes humaines comptent pour beaucoup, et là-dessus, M. Mulroney était un maître.

Plusieurs politiciens m’ont raconté essentiellement la même anecdote : quand M. Mulroney leur parlait, il leur accordait toute son attention. Il avait un don pour établir un contact intime avec son interlocuteur. Son intelligence sociale lui permettait d’être à l’aise tant à la Maison-Blanche que dans une usine modeste, et il s’est servi de ces relations toute sa carrière pour faire des gains.

Qui d’autre aurait pu convaincre Ronald Reagan de modifier à la toute dernière minute son discours et sa position sur les pluies acides ? Leurs origines irlandaises communes lui avaient permis de tisser un lien de confiance.

Quel autre premier ministre canadien aurait si bien tenu tête à Margaret Thatcher au sujet de l’apartheid en Afrique du Sud ?

Et surtout, qui d’autre aurait pu essayer de réconcilier le Québec avec le reste du pays ? C’était l’époque où on parlait encore des deux solitudes, et il incarnait à lui seul les deux. Il n’était pas que bilingue, il était biculturel. Il comprenait autant la réalité du Québec que celle du Canada anglais et il s’attirait leur respect. Avec les promesses rompues des libéraux, il représentait cette deuxième – et dernière – chance.

C’est Robert Bourassa, alors jeune premier ministre du Québec, qui lui avait confié le prestigieux mandat de procureur à la commission Cliche sur le crime organisé. Il ne l’a pas oublié.

Mais quand M. Mulroney arrive au pouvoir en septembre 1984, son vis-à-vis au Québec est René Lévesque. Malgré leurs différends, ils se respectent. À la mort du chef fondateur du Parti québécois, M. Mulroney mettra le drapeau du Québec en berne sur les édifices fédéraux.

Comme le résumait Jacques Parizeau dans un documentaire biographique de M. Mulroney fait par Guy Gendron : « L’homme est honnête. »

Avocat, homme d’affaires et négociateur avant d’être politicien, ce n’était évidemment pas un naïf. Il voulait gagner, certes. Mais il ne cherchait pas à écraser, et encore moins humilier. Pour Meech, il a littéralement enfermé les premiers ministres des provinces dans un chalet pour qu’ils s’entendent. Il maîtrisait l’art du compromis efficace.

Avec lui s’éteint l’ère des grandes rondes constitutionnelles. Ses blessures furent à la hauteur de son investissement émotionnel. Sa plus douloureuse vient sans doute de sa rupture avec Lucien Bouchard.

Son œuvre rappelle que la politique n’est pas qu’une joute pour conquérir le pouvoir ou un froid débat d’idées. C’est aussi une affaire de passion, de style, et le sien restera à jamais inimitable.