Brian Mulroney marqua mes premières années d’âge adulte, lorsque j’étais étudiant à HEC Montréal, au milieu des années 1980. Quelle période de transformation ce fut !

À l’époque, « le p’tit gars de Baie-Comeau » était l’instigateur du débat qui faisait rage entre les murs de l’université, soit les négociations de libre-échange avec les États-Unis.

Les détracteurs étaient nombreux. Les centrales syndicales et les milieux culturels brandissaient les épouvantails, jugeant qu’il ferait perdre au Canada son indépendance face aux États-Unis. L’avenir du Canada, littéralement, était en jeu.

Mais Brian Mulroney, en bon négociateur et politicien, réussit à mener le pays à une entente avec les Américains, en octobre 1987. Élu en 1984 avec la promesse de libre-échange, entre autres, l’homme d’affaires a su s’allier à des politiciens et des économistes influents de l’Ouest et du Québec, notamment les péquistes Bernard Landry et Jacques Parizeau, de même que le libéral Robert Bourassa.

En parallèle, plusieurs évènements historiques eurent lieu en quelques années : le krach boursier d’octobre 1987, la mort de René Lévesque en novembre 1987, la chute du mur de Berlin en novembre 1989, l’échec de l’accord du lac Meech en juin 1990 et la guerre du Golfe d’août 1990 contre l’Irak, entre autres.

En quelques années s’est transformé le monde politique et économique et se sont ouvertes devant nous, jeunes étudiants, des perspectives internationales, auxquelles Brian Mulroney avait contribué.

Le libre-échange changeait considérablement la donne pour le monde des affaires canadien. Non seulement il abolissait certains tarifs douaniers et barrières non tarifaires avec les États-Unis, mais il permettait aux entreprises canadiennes d’être mieux armées que leurs concurrents mondiaux pour faire face aux droits compensateurs ou antidumping que nous imposaient arbitrairement les Américains.

C’est que l’entente a introduit un mécanisme permettant aux entreprises de recourir à des arbitres impartiaux pour réviser les décisions du département du Commerce américain (chapitre 19 de l’accord). L’industrie du bois d’œuvre, entre autres, en a bénéficié.

Dans les années qui ont suivi, le commerce avec les Américains a bondi de 12 % par année, « un taux d’expansion presque 2 fois supérieur à celui des exportations canadiennes vers le reste du monde », constate L’Encyclopédie canadienne. Les importations ont aussi augmenté rapidement.

L’entente de libre-échange, à laquelle s’est joint le Mexique en 1992, n’est pas la seule réalisation sous Brian Mulroney qui aura façonné le Canada économique. L’introduction de la taxe sur les produits et services (TPS), en 1991, et la privatisation de grandes sociétés d’État, dans une période de déficit budgétaire historique, ont aussi été marquantes.

Parmi ces privatisations, mentionnons celles du Canadien National (CN), de Petro-Canada et d’Air Canada. Celle du CN, menée par Paul Tellier et ses lieutenants Michael Sabia et Claude Mongeau, a connu le plus grand succès, le transporteur ayant, après d’importantes compressions, pris une expansion majeure aux États-Unis. Les deux autres privatisations ont eu un succès nettement plus mitigé.

La TPS, cette taxe sur la valeur ajoutée semblable à d’autres en Europe, était bien plus efficace que l’ancienne taxe de vente1. En 1991, le Québec est la seule province à avoir rapidement suivi, avec la TVQ.

L’imposition de la TPS, très impopulaire, a toutefois été l’un des éléments qui ont contribué à la chute de Brian Mulroney, en 1993.

Il faut dire que le gouvernement Mulroney avait hérité de déficits budgétaires monstres, en 1984, qu’il a tenté de résorber, et que la fin de son règne a été marquée par une longue récession, entre 1990 et 1992.

En 1984, le déficit a atteint 8 % du PIB, niveau que seule l’année de la COVID-19 a dépassé, en 2020 (14,9 % du PIB). Les conservateurs de Brian Mulroney n’ont jamais su équilibrer leurs budgets, souvent trop optimistes, mais leurs mesures ont probablement dû aider le Parti libéral et le rigoureux ministre Paul Martin à y parvenir, quelques années plus tard.

Parmi les décisions plus contestables du gouvernement Mulroney, on peut penser à l’exonération de 100 000 $ sur le gain en capital des particuliers. L’exemption devait même grimper jusqu’à 500 000 $.

En janvier 1994, mon illustre prédécesseur à La Presse, Claude Picher, écrivait : « Aucun contribuable ne profitera de l’exemption maximale de 500 000 $. Au bout de deux ans, on s’est simplement aperçu que l’exonération revenait ni plus ni moins à faire un cadeau princier aux Canadiens les plus fortunés, sans que cela débouche de façon évidente sur une croissance de l’économie et de l’emploi. »

Selon certains, les mesures de ce genre, inspirées par les politiques de ruissellement de l’économie des gouvernements de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher aux États-Unis et au Royaume-Uni, ont fait croître les écarts de richesse entre les pauvres et les mieux nantis au Canada par la suite.

Brian Mulroney est resté influent bien après son départ de la politique, bien que son nom ait été écorché dans l’histoire des commissions au comptant que lui a versées le lobbyiste controversé Karlheinz Schreiber.

Au fil des ans, Brian Mulroney avait gardé des antennes auprès du monde politique et du milieu des affaires aux États-Unis, si bien que le gouvernement Trudeau – pourtant libéral – a eu recours à ses services lors de la récente renégociation de l’accord de libre-échange avec le gouvernement américain de Donald Trump.

Il est aussi resté proche de la famille Péladeau, notamment de Pierre Karl Péladeau, siégeant encore comme président du conseil d’administration de Québecor récemment.

Avec le décès de Brian Mulroney, c’est toute une page de l’histoire économique du Canada qui est tournée. Une page qui a marqué les 33 ans qui ont suivi la fin de mes études à HEC Montréal. Mes distinguées condoléances à la famille.

1. Pourquoi plus efficace ? Parce que la nouvelle TPS taxe seulement l’utilisateur final, ultimement, et allège donc les coûts de taxation des entreprises face aux concurrents mondiaux.