Les chiffres sont plus éloquents que les adjectifs.

Le gouvernement caquiste voulait absolument modifier l’organisation du travail en santé et en éducation. Il y tenait tellement qu’il a donné plus d’argent que prévu. Assez pour alourdir le déficit et retarder le retour à l’équilibre budgétaire.

Cet impact sur les finances publiques n’est pas une opinion, et encore moins une insulte. Il s’agit d’un simple rappel factuel. Libre ensuite à chacun de s’en réjouir ou non.

Le budget s’annonçait déjà déficitaire. Il le sera encore plus à cause du ralentissement économique, de la baisse des revenus d’Hydro-Québec et des hausses salariales. En 2024-2025, elles ajouteront au net environ 1,15 milliard aux dépenses de l’État⁠1 – et ça, c’est sans compter les mesures négociées dans les ententes sectorielles.

Mais ce gouvernement est très impopulaire. Peu importe ce qu’il dit, il a tort.

Quand il accorde la hausse et en expose l’impact financier, on l’accuse de blâmer les syndicats. S’il n’avait pas dévoilé cette information, on l’aurait accusé de manquer de transparence. Et s’il n’avait pas consenti cette hausse, l’indignation aurait été encore plus vive.

Dans l’humeur actuelle, j’ai presque l’impression de commettre une faute éthique en n’écrivant pas que le gouvernement est pourri. Mais je ne fais que me fier aux explications du Front commun.

En l’analysant, la conclusion semble claire : l’entente devrait être à la fois profitable pour les employées du réseau de la santé et pour les patients.

En éducation, on sentait un peu de déception la semaine dernière. « On ne pouvait pas leur donner ce que nous n’avons pas », avouait le ministre Bernard Drainville. Certes, il se réjouissait de certains gains patronaux. L’affectation se fera avant le 8 août pour éviter qu’un enseignant expérimenté se choisisse une tâche jugée moins difficile juste avant la rentrée et, par ricochet, force à revoir l’attribution des classes à ses collègues en fonction de leur ancienneté.

Mais ces mesures sont modestes ou, du moins, intangibles. En santé, les avancées avec le Front commun sont plus concrètes. Et elles accentuent la pression sur la FIQ, le syndicat de 90 % des infirmières.

On facilitera l’autogestion des horaires par les employées. Cela favorise le partage plus équitable des quarts impopulaires, selon les besoins de chaque membre de l’équipe.

Cette mesure ne requerra plus l’approbation des syndicats locaux. Le Front commun a cédé ce pouvoir. Il a aussi accepté un compromis pour reconnaître partiellement l’ancienneté des employées des agences privées qui souhaitent retourner dans le réseau public.

En contrepartie, le Front commun a notamment obtenu une meilleure rémunération pour les quarts défavorables et les heures supplémentaires. Dans certains cas, le taux passera de 150 % à 200 % du salaire de base. Les employées du réseau public conserveront aussi leur ancienneté si elles changent de région.

La bonne nouvelle, c’est que dans ce donnant, donnant, toutes les mesures profiteront aux employées et aux patients.

Elles aideront à réduire le « temps supplémentaire obligatoire », qui pousse encore trop de professionnelles à quitter le métier pour sauver leur peau.

Reste la question de la mobilité du personnel. Les gestionnaires voudraient par exemple déplacer une employée dans un autre hôpital ou département pour éviter les ruptures de service.

Des infirmières de la FIQ ont témoigné que si elles sont envoyées dans un poste pour lequel elles ne sont pas formées, elles seront incapables d’offrir des soins de qualité. Et, aussi, démotivées. D’ailleurs, plus de 200 ont carrément démissionné pour cette raison en Mauricie dans la dernière année.

Québec assure que ces déplacements demeurent volontaires et seront compensés par des primes. Il veut seulement assouplir la façon de les orchestrer. À nouveau, en réduisant les tractations avec le syndicat local.

Qui croire ? La semaine dernière, il fallait choisir entre la version de Québec et celle des syndicats. Or, le Front commun a signé l’entente – avec l’appui de 74,8 % des membres – en confirmant que ce serait bel et bien volontaire.

Toute la pression est donc maintenant sur la FIQ.

On devine maintenant mieux les coulisses de la négociation.

Si le gouvernement n’offre pas encore à la FIQ la hausse consentie aux autres syndicats, c’est parce qu’il n’a pas obtenu les concessions sur l’organisation du travail. Et à en juger par l’entente avec le Front commun, c’est parce que la FIQ tient davantage que les grandes centrales à maintenir le pouvoir de ses instances locales, le cœur de sa vie militante.

Contrairement aux enseignants, les infirmières ne manquent pas. C’est l’Ordre des infirmières qui le dit.

Ce qui manque, ce sont des heures travaillées, car les piètres conditions de travail poussent trop de professionnelles à refuser des postes à temps plein, à travailler au privé ou à devoir prendre un congé de maladie.

Voilà l’engrenage que l’entente espère enrayer.

Personne ne s’attend à un miracle, bien sûr. Mais le casse-tête est un peu moins difficile à régler qu’en éducation, où il manque objectivement d’enseignants.

Il y a toutefois une chose en commun dans ces deux négociations. Les grandes centrales syndicales, plus centralisées, avaient la latitude pour négocier plus habilement que la FIQ et la FAE, dont les présidents ressemblent parfois davantage à des porte-parole à l’écoute de leurs divisions locales.

L’entente avec le Front commun a tracé une ligne dans le sable. Difficile d’imaginer comment la FIQ obtiendra plus.

Personne ne gagne à étirer ce conflit. Surtout qu’on devine plus que jamais comment il se réglera de toute façon. Avec des concessions payées à fort prix par un gouvernement qui sait que sa survie, s’il n’est pas trop tard, dépend de l’état des services publics.

⁠1. Selon l’estimation faite par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Lisez le mémoire présenté au ministère des Finances du Québec