Avant de commencer, un mot sur les avocats de la défense. Les criminalistes défendent les accusés. C’est un rôle essentiel dans une démocratie. Tout le monde a droit à une défense. Parfois, l’État abuse de ses pouvoirs, parfois, l’État se trompe : chacun a le droit d’être vigoureusement défendu.
Même les monstres comme Marc-André Grenon, l’individu condamné mardi à 25 ans de prison pour avoir violé et assassiné Guylaine Potvin en 2000 à Jonquière1. Grenon a passé 22 ans en cavale, avant son arrestation.
Grenon a été défendu par deux avocates, Me Vanessa Pharand, de Lac-Mégantic, et Me Karine Poliquin, de Sherbrooke.
Je le répète : même les monstres ont le droit d’être défendus, et bien défendus.
Mais il y a la manière, disons…
J’ai souligné en chronique tout le mal que je pensais2 de l’explication donnée par Me Pharand et Me Poliquin pour « expliquer » la mort de Guylaine Potvin. Elles ont expliqué qu’il s’agissait d’un cambriolage qui aurait mal tourné…
J’ai passé sous silence l’autre partie de « l’explication » offerte en Cour par les deux avocates au sujet de l’accusation d’agression sexuelle. Me Pharand et Me Poliquin ont affirmé (sans rire) qu’il n’y a pas eu d’agression sexuelle à proprement parler… puisque leur client aurait en fait eu des relations sexuelles avec le corps de Mme Potvin.
Elles n’ont présenté aucun argument, aucune preuve à l’appui de ces deux théories complètement débiles… Le jury a dû trouver ces deux théories débiles, lui aussi : il a délibéré à peine quelques minutes avant de revenir annoncer que Grenon était coupable de meurtre au premier degré.
Je pensais bien ne jamais avoir à réécrire sur les avocates Pharand et Poliquin, mais j’ai reçu dans ma messagerie une vidéo absolument déconcertante, jeudi.
Il s’agit d’une vidéo produite par l’avocate Vanessa Pharand et publiée sur son compte Instagram pendant le procès de son client Marc-André Grenon, accusé d’agression sexuelle et de meurtre, une semaine avant le verdict.
On était alors au cœur d’un procès qui a présenté des preuves troublantes et accablantes contre Grenon. Photos de la scène de crime, témoignages d’experts policiers et en ADN, constats de pathologiste sur les causes de la mort de cette pauvre jeune femme, Mme Potvin… Du lourd.
Or, qu’a publié Me Pharand, le 12 février, pendant ce procès ?
Une vidéo autocongratulatoire la montrant elle et sa collègue Poliquin déambulant dans les corridors du palais de justice de Chicoutimi, entrecoupée d’images des avocates tournées dans ces mêmes corridors par TVA, au son de la chanson-thème d’un célèbre film des années 1990, Dangerous Minds, sur une enseignante de high school américain qui se prend d’affection pour ses élèves troublés dont certains trempent dans la criminalité.
Je cite un extrait de la chanson Gangsta’s Paradise :
But I ain’t never crossed a man that didn’t deserve it
Me be treated like a punk, you know that’s unheard of
You better watch how you talkin’ and where you walkin’
Or you and your homies might be lined in chalk
Qu’on pourrait traduire librement ainsi :
Je n’ai jamais croisé le fer avec quelqu’un qui ne le méritait pas
Qu’on me traite comme un bandit, tu sais ce n’est pas inhabituel
Fais attention à ce que tu dis, où tu marches
Car toi et tes amis pourriez être encerclés par de la craie
To be lined in chalk, être entouré de craie, c’est quand la police trace les contours d’un cadavre au sol, sur une scène de crime.
Déjà, choisir de faire ce montage vidéo et de le publier sur son compte – qui était public jusqu’à récemment – me semble d’une indignité carabinée, mais, bon, le jugement pour les humains, c’est comme la climatisation pour les autos : c’est souvent en option.
Mais l’avocate Pharand a jugé bon, en plus, d’ajouter des mots-clics à sa vidéo. Je cite quelques-uns :
#girlpower
#business
#entrepreneure
#proces
#meurtre
#sharp
#aboutkarine
#classy
#workaholic
Le but de cette vidéo est de générer des clics, de capitaliser sur le procès glauque impliquant le viol et la mort d’une jeune femme de 19 ans pour attirer de la #business pour une #avocate qui est aussi #entrepreneure.
Un autre mot-clic dit tout : #exposure, qu’on peut traduire par visibilité.
J’allais oublier la légende sous la photo, avant le déluge de mots-clics à vomir choisis par Me Pharand : Quand deux avocates de Sherbrooke débarquent à Chicoutimi avec de nouvelles toges et nos rabats de @rabatjoies3 pour un look impeccable.
Ne manquait que des remerciements de Me Pharand à sa coiffeuse.
Les avocats criminalistes, je le répète, sont un rouage essentiel du système de justice et de la démocratie.
Après, il y a la manière. Après, il y a le jugement. Après, il y a la dignité, apparemment soluble pour quelques likes pour certaines #avocates en manque d’#exposure qui confondent un procès dramatique avec une infopub.
Je me suis demandé, devant la preuve en béton présentée par la Couronne, pourquoi Marc-André Grenon n’avait tout simplement pas plaidé coupable.
Me Pharand et Me Poliquin n’ont pas répondu à mes courriels, je n’ai donc pas pu leur poser la question qui me brûle les lèvres…
Si votre client avait plaidé coupable, est-ce que ça aurait été bon ou mauvais pour votre #exposure ?
Oh, un dernier truc…
J’avais fini d’écrire cette chronique quand j’ai remarqué un mot-clic qui ne me disait rien, sous la publication de la criminaliste Vanessa Pharand : #htgawm.
Vérification faite, cela signifie How to get away with murder.
Je traduis la définition du dictionnaire Webster’s, à propos de l’expression to get away with murder : l’acte de tuer quelqu’un sans être capturé ou puni.
Ce mot-clic n’était pas sous la publication de Me Vanessa Pharand, mais elle pourrait en ajouter un autre : #vomi.
1. Lisez l’article « Meurtre de Guylaine Potvin : Marc-André Grenon coupable de meurtre au premier degré » 2. Lisez la chronique « Un monstre et son chromosome Y »3. Le rabat encercle la toge des avocats au niveau du cou, les artisans de la firme Les Rabat-Joies fabriquent des rabats particulièrement stylés et appréciés des juristes.