En 2009, au mois d’août, c’était la première rentrée scolaire de Maya Lelièvre et de Marie-Josée Longpré.

Marie-Josée vivait son baptême comme enseignante-orthopédagogue à l’hôpital Sainte-Justine, pour le Service scolaire en milieu hospitalier de la Commission scolaire de Montréal (désormais le CSSDM).

Maya avait 5 ans et c’est dans son lit d’hôpital à Sainte-Justine qu’elle a fait sa rentrée en maternelle, grâce aux leçons de Marie-Josée.

Marie-Josée : « Maya a vécu sa première journée d’école avec moi à l’hôpital. Elle était vraiment très emballée de commencer la maternelle. Nous avons fait les deux premières journées ensemble, ça tombait un jeudi et un vendredi. Le lundi suivant, à mon arrivée dans sa chambre, Maya était fâchée et elle m’a dit qu’elle ne voulait plus me voir, elle était fâchée que je ne sois pas venue samedi et dimanche… »

Un immense calendrier a donc été confectionné pour que Maya sache quand tombaient ses jours de « classe » et lui éviter la déception de ne pas voir arriver Marie-Josée dans sa chambre : « Elle aimait tellement l’école, se souvient Marie-Josée. J’étais émerveillée de la voir si heureuse de me voir. Malgré ses traitements, Maya adorait l’école. »

Maya était hospitalisée à Sainte-Justine pour soigner un cancer du sang, une leucémie myéloïde aiguë.

C’est avec Marie-Josée que Maya a appris le nom et les sons des lettres de l’alphabet, ainsi que les chiffres… Au milieu de traitements de chimiothérapie, dans sa chambre d’hôpital.

Mais la petite adorait apprendre. Marie-Josée se souvient encore des mots de Maya, quand elle arrivait dans sa chambre : « Qu’est-ce qu’on apprend aujourd’hui ? »

Ça fera donc 15 ans cette année que Marie-Josée et Maya ont vécu ensemble leur première rentrée scolaire. Elles n’ont jamais perdu le contact. Marie-Josée n’a enseigné que quelques mois à Maya, qui n’était qu’une enfant quand sa première prof lui a appris les rudiments de la lecture et des maths…

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Depuis la rentrée des classes en 2009, Maya et Marie-Josée n’ont jamais perdu le contact.

Mais le lien spécial qui s’est créé entre la prof et l’élève ne s’est jamais effiloché. Chaque année, pour ses rendez-vous de suivi annuels, Maya et sa mère Julie passaient voir Marie-Josée à Sainte-Justine : « Et à 14, 15 ans, quand j’ai eu mon premier téléphone, dit Maya, j’ai commencé à lui écrire directement. Je suis toujours heureuse quand je revois Marie-Josée. Je ne l’ai jamais oubliée. »

Quand je dis à mes amies que je suis encore amie avec ma prof de maternelle, elles sont toujours étonnées et je réponds : C’est une longue histoire ! 

Maya Lelièvre

Marie-Josée, sur ce lien unique : « Maya a été ma toute première élève, un petit rayon de soleil dans ma vie de prof, elle brillera à tout jamais dans mon cœur. Grâce à elle, ma flamme d’enseignante à l’hôpital ne s’éteindra jamais. »

Je suis Marie-Josée dans les couloirs de l’Hôpital de Montréal pour enfants, direction la chambre d’un enfant hospitalisé. Elle pousse un petit chariot marqué des mots « L’École à l’Hôpital » dans lequel on retrouve tout ce dont une prof a besoin : crayons, cahiers, manuels scolaires, livres d’histoires.

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Marie-Josée Longpré et son chariot rempli de matériel scolaire qu’elle pousse dans les couloirs de l’hôpital de Montréal pour enfants

Marie-Josée lit une histoire de tigre en français, qui n’est pas la langue maternelle du garçon. L’enfant lit :

« Le féline…

— Félin, hein. Tu sais c’est quoi, un félin ? »

La prof explique à l’élève que les chats sont dans la famille des félins, comme les lions, les tigres.

L’enfant continue la lecture :

« Il mesure en moyen trois mètres de long…

— En moyenne. Sais-tu c’est quoi, trois mètres ? »

L’enfant abdique. Non, il ne le sait pas.

Marie-Josée sort alors un ruban à mesurer, lui en donne le bout avant de commencer à le dérouler en s’éloignant du lit…

« Tu vois, c’est ça, trois mètres ! C’est une grosse bête ! »

L’enfant sourit, il comprend :

« Très longue !

— Long ! »

Il est ensuite question de proies, de rayures, de zèbres, de carnivores, de buffles…

C’est ce que font chaque jour avec souplesse et créativité les profs du Service scolaire en milieu hospitalier du centre de services scolaires de Montréal à l’hôpital Sainte-Justine, à l’Hôpital de Montréal pour enfants, à l’Institut Albert-Prévost et au Centre de réadaptation Marie-Enfant : enseigner aux petits malades malgré la maladie. Toujours en s’adaptant à eux, pour faire grandir l’élève dans le patient.

Je rencontre Maya et Marie-Josée dans le bureau des profs de l’Hôpital de Montréal pour enfants, dans un couloir où il y a aussi les locaux du Docteur Clown, de la musicothérapie et de la zoothérapie. Sur la table, des photos de la prof et de son ancienne élève au fil des années, au gré des rencontres annuelles à Sainte-Justine.

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Maya Lelièvre étudie les sciences infirmières et fait un stage cet hiver à l’Hôpital de Montréal pour enfants.

Maya porte son habit d’infirmière stagiaire. Car à 20 ans, elle étudie les sciences infirmières à McGill. Et elle fait un stage cet hiver à… l’Hôpital de Montréal pour enfants.

C’est donc dire que Maya Lelièvre et sa première prof Marie-Josée Longpré sont désormais, en quelque sorte… collègues !

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La rentrée scolaire de 2009 a été le début d’une longue amitié entre Maya Lelièvre et Marie-Josée Longpré.

« Le 30 janvier dernier, dit Marie-Josée, nous nous étions donné rendez-vous pour dîner ensemble. Elle m’a montré fièrement son équipement de travail, ainsi que son uniforme. Et moi, je l’ai présentée fièrement aux collègues que j’ai croisés… »

Je demande à Maya quel est son état de santé, à 20 ans. Réponse : « Ça va faire 15 ans que je suis en rémission. Je suis en vie parce que mon frère de 3 ans était un donneur de moelle compatible. J’ai pu refaire mon système immunitaire grâce à lui… »

Maya relève sa manche, me montre un tatouage sur son bras gauche : 26.11.2009.

C’est la date de sa greffe de moelle osseuse, quelques mois après sa rentrée scolaire avec Marie-Josée : le 26 novembre 2009, le jour où la rémission a pu être envisagée.

Je demande à Maya ce qu’elle veut faire, une fois qu’elle sera infirmière. Et la réponse fuse immédiatement, le plan est déjà tout tracé dans sa tête, il n’y a aucun doute : « Mon but, mon rêve, c’est d’être infirmière à Sainte-Justine. En oncologie. »

Ce texte a été corrigé pour refléter le fait que Maya a reçu une greffe de moelle osseuse, et non de moelle épinière.