Jadis, les grandes métropoles érigeaient de somptueuses cathédrales à la gloire de Dieu, mais surtout à la gloire de ceux qui ordonnaient que se déploient ces immenses chantiers. Ces constructions qui rapprochaient la terre du ciel devenaient le cœur de la ville, le lieu où convergeaient les nobles et les badauds, le lieu où se tenaient les grands évènements, les sacres, les mariages et les funérailles. Le spectacle de la vie et de la mort.

Il est fini, le temps des cathédrales. Il est venu, le temps des grands stades. Aujourd’hui, les grandes métropoles érigent de superbes stades à la gloire de la nation. Ces constructions deviennent le cœur de la ville. Le lieu de rassemblement où s’expriment les deux plus grandes passions du peuple : le sport et la musique.

Jean Drapeau a voulu doter Montréal d’une nouvelle cathédrale. La maquette était belle. Un vaisseau spatial à voile. Tellement futuriste qu’il restera à jamais dans le futur. Le chantier a débuté, puis, comme le veut l’expression anglaise, la merde a frappé le ventilateur. En 1976, la métropole a accueilli la planète, avec pas de toit rétractable. Avec une grue. On a fait avec. Ou plutôt sans. Tellement que le Stade, même inachevé, est devenu le lieu des grands rendez-vous.

Les Expos ont connu de belles années, les Alouettes ont remporté la Coupe Grey devant 68 318 spectateurs, Pink Floyd a souhaité qu’on y soit, Roberto Durán a dépouillé Sugar Ray Leonard de son titre de champion du monde, le Manic, l’ancêtre du CF Montréal, a vaincu le Sting de Chicago devant 58 542 spectateurs, Diane Dufresne a fait opérer sa magie rose, Céline Dion la sienne, en faisant apparaître une colombe pour le pape Jean-Paul II…

Puis le siècle s’est terminé, et le Stade ne l’était toujours pas. Pour citer une autre maxime anglaise : If it ain’t broke, don’t fix it. Mais dans ce cas-ci, c’était plutôt : If it is broke, don’t fix it. Au lieu de le compléter et d’en faire le joyau qu’il était censé être, on l’a patché. On l’a raccommodé.

Chaque fois qu’on n’avait pas le choix, qu’on devait rafistoler le Stade avant qu’il s’effondre, on a toujours favorisé la solution la moins chère. Sauf qu’on l’a rafistolé durant 50 ans, des tas de fois. Des tas de fois la solution la moins chère, ça coûte pas mal plus cher qu’une seule fois la solution la plus chère. La qualité, ça finit toujours par être plus économique. Personne n’a jamais eu le courage de voir à long terme.

Lundi dernier, le gouvernement du Québec a annoncé qu’il investissait 870 millions pour remplacer le toit et l’anneau technique. On n’avait pas le choix, encore une fois. Un toit rigide permettra au Stade d’accueillir des évènements. Super ! C’est pas mal ça, le but d’un stade.

On en était rendu là. Sans les nouveaux travaux, on serait pris avec un Stade qui ne servirait à rien. Ce qui est déjà le cas, depuis un bon petit bout.

Montréal a besoin d’un stade. Le Québec a besoin d’un stade. Une société a besoin d’un endroit pour se rassembler. Pour aller à la grand-messe de la solidarité. Pour célébrer ensemble. Pour vivre ensemble. Pour rêver ensemble. Mais ça ne prend pas juste un stade correct. Ça prend un stade invitant.

Je crains qu’encore une fois, on ne fasse que du patchage. Une patch qui va finir par coûter 1 milliard, mais une patch quand même. Ça fait un demi-siècle qu’on ne fait que gosser avec le plafond, mais y a pas juste le plafond qui a besoin d’être retapé.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

L’intérieur du Stade olympique, lors d’une visite de La Presse, le 5 février dernier

On va mettre un toit de 2024 sur un stade de 1970. L’expérience pour le spectateur sera toujours dépassée. L’intérieur est un bunker. On dirait des sièges d’abribus. L’écran semble alimenté par un Commodore 64. La surface est dangereuse pour les athlètes. Les aires, où l’on retrouve les kiosques à bouffe et à souvenirs, sont aussi attrayantes qu’une centrale nucléaire.

C’est ben beau, un nouveau toit, mais quand on va au Stade, c’est pas le plafond qu’on regarde, c’est ce qu’il y a en dessous. Faut mettre des sous sur le dessous. Je sais, ça commence à faire beaucoup de sous.

Ça prend un stade digne de ce nom. Un stade terminé, pas un stade terminal. Pas juste pour aller voir Taylor Swift. Pour aller nous voir nous. Une place où l’on peut être le plus de citoyens possible. Une place où l’on peut être plus que 20 000. Une place où l’on peut être trois fois ça. Une place qui nous représente.

Ce soir, vous recevez pour le Super Bowl ? Vous allez vous regrouper dans la plus grande pièce de la maison, devant un écran assez grand pour que tout le monde voie le ballon, vous allez arranger l’endroit pour que tout le monde soit à l’aise. Un stade, c’est ça. C’est la plus grande pièce de la maison nationale. C’est l’endroit où l’on reçoit le monde. Est-ce qu’on peut mettre ça beau ? Est-ce qu’on peut recevoir le monde comme du monde ?

Le toit du Stade devrait être un toit ouvrant. Parce que c’est ça, le Québec. Des hivers d’intempéries et des étés magnifiques. Il faut pouvoir se protéger des uns et profiter des autres. Il ne le sera pas. Trop dispendieux. Ça va faire 5 milliards de dollars qu’on dépense sur cette infrastructure. À ce prix-là, on aurait pu se doter d’un toit qui s’ouvre. Sommes-nous plus cons que les autres ? Manque-t-on à ce pont de vision, à répétition ?

Tôt ou tard, ça va nous prendre un endroit pour se recevoir. Pas pour nous dépanner. Pour nous recevoir en grand. Tôt ou tard, ça va nous prendre un beau stade. Un stade comme celui que vous verrez, ce soir, en regardant le Super Bowl.

Tôt ou tard. Il semble que ce sera plutôt tard que tôt.

Bon Super Bowl !

En attendant que notre bol à nous devienne super.