Le DJérôme Barrière aurait pu se taire, fermer son compte X et retourner à sa petite vie tranquille, dans le sud de la France.

L’oncologue ne le cache pas : il a eu peur. Quand le rappeur Booba l’a traité d’assassin sur X, quand Didier Raoult, le druide de Marseille, a félicité le rappeur, quand une déferlante de haine s’est abattue sur lui, le DBarrière s’est demandé si son combat contre la désinformation médicale en valait vraiment la peine.

PHOTO FOURNIE PAR JÉRÔME BARRIÈRE

L'oncologue français Jérôme Barrière

Après réflexion, il a conclu qu’il ne pouvait pas battre en retraite. Parce que la désinformation médicale tue.

La semaine dernière, Booba a relayé à ses 6,3 millions d’abonnés la vidéo d’un homme faisant un lien entre les vaccins contre la COVID-19 et la maladie de Creutzfeldt-Jakob, communément appelée maladie de la vache folle. Le DBarrière ne pouvait pas laisser passer pareille affirmation. Il a poliment corrigé le rappeur, soulignant que ce lien ne s’appuyait sur aucune preuve scientifique. Booba a répliqué avec hargne : « Espèce d’imbécile ! », « Ferme-la, assassin ! »

PHOTO LOÏC VENANCE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le rappeur français Booba, en 2014

Le DRaoult, qui promet de bientôt prouver ce lien, s’est mis de la partie. Alors que le DBarrière se faisait abreuver d’insultes, il a relayé le message de Booba avec ce commentaire : « Merci pour le soutien, petit frère. » La complosphère a pris feu.

Le DBarrière fait partie de ces professionnels de la santé en France, au Québec et ailleurs qui rétablissent les faits sur les réseaux sociaux depuis la pandémie et son explosion de fake news. Il le fait dans ses temps libres, avec pour tout salaire une régulière pluie d’insultes.

« On nous traite de censeurs, sous prétexte que nous voudrions brimer la liberté d’expression, déplore l’oncologue. Quand on s’exprime publiquement, on a des responsabilités, on ne peut pas dire n’importe quoi ! En santé publique, quand on dit n’importe quoi, ça tue des gens. On l’a vu avec l’hydroxychloroquine… »

Ce médicament contre la malaria, présenté comme un remède miracle par le DRaoult dès le début de la pandémie, était non seulement inefficace contre la COVID-19, mais a tué 17 000 personnes dans six pays, dont les États-Unis et la France, selon une étude internationale publiée en janvier1.

La désinformation tue aussi de manière indirecte. Elle pousse des gens à refuser les vaccins, à renoncer aux soins ou à se lancer dans des traitements alternatifs. En France, les frères Igor et Grichka Bogdanoff sont morts des suites de la COVID-19 après avoir refusé de se faire vacciner.

Au Québec, le chanteur Bernard Lachance a mis un terme à ses traitements de trithérapie après avoir été convaincu que le sida n’existait pas, notamment par l’ex-médecin Guylaine Lanctôt. Il est mort en mars 2021.

Dans la troisième saison de Dérives, une balado diffusée sur OHdio2, le pharmacien Olivier Bernard enquête sur ce qui pousse certains médecins à passer du côté obscur de la science tout en demeurant redoutablement influents. Comme Guylaine Lanctôt. Comme Didier Raoult.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Le pharmacien Olivier Bernard, alias le Pharmachien

Olivier Bernard, alias le Pharmachien, procède avec rigueur, retournant chaque pierre de l’affaire Lachance. Son travail est important et courageux. En 2019, déjà, il avait été la cible de cyberharcèlement après avoir remis en question l’efficacité des injections de vitamine C dans le traitement du cancer.

Il avait reçu un flot de menaces pour avoir énoncé… des faits scientifiques, tout simplement.

C’était avant la pandémie. Aujourd’hui, la désinformation médicale atteint des sommets. La haine en ligne, aussi. Les experts qui osent prendre la parole pour rétablir la vérité sont traînés dans la boue. Trop souvent, on préfère regarder ailleurs.

Peut-être se dit-on que la bataille est perdue d’avance.

Guylaine Lanctôt a gagné en influence après avoir été radiée du Collège des médecins du Québec, en 1997. On a voulu la sanctionner parce que son discours antiscientifique mettait en péril la santé publique ; elle est devenue plus populaire que jamais.

Même chose pour Didier Raoult. « Plus le professeur Raoult sera attaqué sur le terrain scientifique, par exemple avec ces récentes rétractations de certains de ses articles pour violation de l’éthique, plus il va s’enferrer dans une figure victimaire qui va inévitablement nourrir la figure qu’il est devenu dans la complosphère », expliquait récemment à France Info3 Tristan Mendès France, enseignant en cultures numériques à l’Université Paris Cité.

Mais alors, que faire ? Avec Dérives, Olivier Bernard tente de comprendre pourquoi des gens ordinaires en viennent à adhérer aussi résolument à des théories qui mettent leur vie en danger. Le Pharmachien cherche ainsi à faire de la vulgarisation scientifique autrement, en évitant de paraître méprisant, un défaut qu’on a beaucoup reproché aux experts (et aux journalistes) pendant la pandémie.

C’est sans doute une bonne approche, recommandée par les psychologues. Mais pour gagner la guerre à la désinformation médicale, il faut aussi offrir un soutien massif à ceux qui ont le courage de monter au front pour rétablir la vérité, jour après jour, sur les réseaux sociaux.

En France, l’affaire Booba a agi comme une sorte d’électrochoc. Le DJérôme Barrière a rallié ses confrères. « Nous avons publié un texte dans L’Express, cosigné par des sociétés savantes qui représentent plusieurs dizaines de milliers de médecins français, raconte-t-il. On dit stop. Stop à la désinformation. Non, les vaccins ne causent pas le cancer ni la maladie de Creutzfeldt-Jakob. »

La tribune4 réclame des sanctions contre ceux qui incitent impunément à abandonner un traitement médical reconnu. Elle conclut : « Il est temps de choisir le camp de la santé contre toute forme d’obscurantisme. »

Ça vaut pour la France, mais aussi pour le Québec, souligne le DBarrière. « La désinformation médicale tue, insiste-t-il. Ça devrait être un combat mondial. »

1. Lisez « Des milliers de morts évitables » 2. Écoutez la balado Dérives 3. Écoutez « Covid-19 : Didier Raoult, figure adulée par la complosphère » 4. Lisez la tribune de L'Express