« [Je] me rangerai toujours du côté des humiliées. C’est là où je me terre », écrit Caroline Dawson en évoquant dans son roman l’image d’une mère réfugiée, contrainte à être femme de ménage pour gagner sa vie, à genoux en train de laver des toilettes sous les ordres polis d’un enfant dont les parents sont absents.

Je repensais à la puissance de ce seul titre – Là où je me terre (Remue-ménage)et à la variante moins poétique que la polémique sur l’immigration et le logement m’inspire ces jours-ci alors que chacun est sommé d’expliquer où il loge dans ce débat.

Dans une cabane au Canada sans seuil ni plafond où on répond à des problèmes complexes par des solutions simplistes ?

Une forteresse où « l’importé voleur de job » d’hier est devenu l’« immigrant illégal voleur de logement » d’aujourd’hui ?

Une maison de verre dont les volets claquent sous un fort vent de populisme ?

Un château où on ouvre les portes du sous-sol à l’immigration temporaire, trop contents d’avoir de la main-d’œuvre à bas prix, sans avoir pris soin d’aménager suffisamment de chambres pour tous et de les traiter dignement ?

Une auberge espagnole à plafond bas pour étudiants étrangers ?

Personnellement, je me sens un peu sans-logis dans ce débat. Je loge à une autre époque où, pour nos dirigeants, le migrant n’était ni un épouvantail, ni une statistique, ni un problème, ni une solution, ni un levier électoral, ni une vache à lait, mais d’abord et avant tout un être humain ayant droit à la dignité.

Je sais, je sais, il faut se méfier des discours de type « c’était mieux avant… ». Le plus souvent, on embellit les souvenirs, on réécrit l’histoire, on se réfugie dans la nostalgie d’un temps qui n’a jamais vraiment existé. Mais en matière de vision de l’immigration, à certains égards du moins, ça me semble vrai.

Si on regarde par exemple la politique québécoise d’immigration de la fin des années 1970 et celle d’aujourd’hui, le contraste est frappant et quelque peu déprimant.

La chose m’a sauté aux yeux en réalisant le mois dernier un entretien avec un historien sur le legs de Jacques Couture, ministre de l’Immigration dans le gouvernement de René Lévesque, à qui on doit notamment le déploiement au Québec d’un formidable programme de parrainage collectif durant la crise des réfugiés de la mer en 1979, considéré comme l’évènement qui symbolise le mieux la Révolution tranquille1.

Martin Pâquet, professeur au département des sciences historiques de l’Université Laval, me parlait de la conception très « kantienne » de l’immigration de Jacques Couture et de Gérald Godin, qui lui a succédé.

C’est-à-dire ? C’est-à-dire une conception des immigrants fondée sur le respect de la dignité humaine. Ils ne sont pas vus comme des objets, mais comme des sujets capables de décider par eux-mêmes, soulignait-il.

« Ce n’est pas seulement une politique comptable dans laquelle on s’intéresse à la capacité d’intégration, au fait de parler français ou pas, au fait d’avoir du capital d’investissement. Ça allait beaucoup plus loin que ça. »

Couture et Godin ne voyaient pas les immigrants uniquement comme des gens qui vont contribuer à l’essor économique ou comme des anges gardiens qui vont s’occuper de nos vieux dans les CHSLD. Au cœur de leurs politiques novatrices, les principes de solidarité humaine, de responsabilités internationales de l’État et de respect de la dignité étaient fondamentaux.

De nos jours, cette conception du rôle de l’État est éclipsée par une vision essentiellement comptable.

Vrai, le Québec, au prorata de sa population, fait plus que sa part au Canada dans l’accueil des demandeurs d’asile, et Ottawa doit rééquilibrer les choses.

Vrai, il y a une crise du logement. Vrai, les services publics sont à bout de souffle. Vrai, il est irresponsable d’ouvrir grand la porte si, passé le seuil, on réalise (oups !) que l’on a juste oublié de construire la maison et d’investir dans les services publics.

Si on ne peut nier ces enjeux bien réels, il convient aussi de ne pas tout confondre. La crise du logement n’est pas une crise des migrants. Pas plus que la crise des soins à domicile n’est une crise des personnes âgées.

Les gens ont besoin de se loger, c’est la vie. Les gens ont aussi besoin de migrer en quête d’un avenir meilleur, c’est la vie aussi. La population vieillit, ce n’est pas non plus une grande surprise…

On ne parle ici ni de péril migratoire ni de péril gris. On parle de défis tout à fait prévisibles et d’un manque de volonté politique pour y faire face.

Ce n’est pas sorcier de prévoir que si la population s’accroît, ça prend des infrastructures. Ce n’est pas plus sorcier de prévoir que si les gens vieillissent, ça prend un virage vers les soins à domicile.

Alors quoi ? Je ne prétends pas que les solutions soient simples. Des experts pourraient très certainement éclairer nos gouvernements sur la marche à suivre. Mais avant toute chose, il faudra se méfier des amalgames et veiller à ce que les fondations de la maison où on loge soient saines.

1. Lisez la chronique « De Jacques Couture à Kim Thúy »