Les élus du village de Sainte-Pétronille, sur l’île d’Orléans, semblaient prêts à tout pour étouffer une affaire gênante. Ils ont manœuvré de la pire des manières pour arriver à leurs fins. Avis aux municipalités : voici l’exemple parfait à ne pas suivre.

Dans cette désolante affaire, les baronnets du village se sont crus en droit quasi divin de faire taire tout le monde. Ils ont cru qu’il leur était permis de bâillonner les citoyens qui osaient poser trop de questions et de museler le journal local, pourtant pas bien menaçant. Ils ont voulu mettre le couvercle sur la marmite, dans l’espoir de contenir à l’intérieur des frontières de l’île d’Orléans une histoire embarrassante.

Et voilà que leurs manœuvres indéfendables, plus encore que le fond de l’affaire elle-même, leur explosent en plein visage.

Tous les médias en parlent, d’un bout à l’autre de la province. La Commission municipale du Québec a ouvert une enquête. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec dénonce une tentative d’intimidation à la soviétique. Rarement un effort de passer inaperçu se sera soldé par un échec aussi retentissant. En termes de relations publiques, franchement, le gâchis est total.

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Récapitulons. Le 11 décembre, Marc Cochrane, rédacteur en chef du journal Autour de l’Île, assiste à l’assemblée du conseil de Sainte-Pétronille. L’atmosphère est tendue. Des citoyens réclament des éclaircissements sur l’embauche de la directrice générale, Nathalie Paquet.

Pour le journaliste, il y a amplement matière à écrire un article. Depuis des semaines, le diable est aux vaches au village. Les tensions sont vives. Les bénévoles de la bibliothèque ont démissionné en bloc. Mais il y a plus : des citoyens ont mis la main sur une lettre de Paul Kushner, maire de Val-des-Lacs, dans les Laurentides. C’est l’ancien employeur de Nathalie Paquet.

Dans cette lettre, citée par Le Soleil, le maire Kushner invoque des « fautes graves » pour procéder à la destitution de sa directrice générale. Il parle d’écarts « qui relèvent principalement de l’inconduite ». Ces écarts ont eu « comme conséquence de réduire considérablement le fonds de roulement de la Municipalité et d’affecter la marge de manœuvre financière ».

Bref, l’intérêt public de cette histoire est incontestable.

L’article, pourtant, ne sera jamais publié.

C’est que, peu après l’assemblée, la municipalité de Sainte-Pétronille a contacté la haute direction du journal. Les baronnets ne voulaient pas d’article. Si le journal osait en publier un, la municipalité le poursuivrait en justice. Non seulement ça, mais elle lui couperait les vivres. Elle lui briserait les reins.

Dans quel monde s’attend-on à une attitude aussi répressive de la part des dirigeants ? En Russie, peut-être. En Corée du Nord. Au Turkménistan. Partout où la liberté de la presse n’est qu’une vue de l’esprit.

Désormais, il faudra songer à ajouter Sainte-Pétronille à cette liste noire. J’exagère, bien sûr, mais pas tant que ça. À preuve, la délirante mise en demeure adressée à la direction du journal, au nom du village, par le cabinet Therrien Couture Joli-Coeur.

Cet extrait, en particulier : « Il est inacceptable que le journal utilise les fonds publics qui lui sont remis par les municipalités locales pour publier des articles dans le but de dénigrer les employés municipaux et d’affecter l’honneur et l’intégrité des membres du conseil municipal. »

Traduction libre : Puisque votre journal reçoit des subventions municipales, vous devez flatter les élus dans le sens du poil et leur faire de beaux articles bien gentils. Quoi ? La liberté de la presse ? La démocratie ? Le droit du public à l’information ? On s’en balance !

Encore plus absurde : selon cette mise en demeure, le journaliste n’avait pas à écrire sur la controverse entourant la directrice générale, même si les citoyens en avaient parlé en assemblée, puisque… ce n’était pas à l’ordre du jour de cette assemblée ! « Le journal a comme mission de rapporter les affaires courantes de la Municipalité », gronde l’avocat de la municipalité. On nage en plein délire.

Désolée de rappeler cette évidence, mais il ne revient pas à un élu de dicter ses sujets à un journaliste. Parce que non, malgré les subventions qu’il reçoit, Autour de l’Île n’est pas la feuille de chou de Sainte-Pétronille. C’est un journal indépendant. Imagine-t-on le gouvernement fédéral dicter sa couverture à Radio-Canada, sous prétexte qu’il s’agit d’un diffuseur public ?

Évidemment, Autour de l’Île n’a pas les moyens financiers de Radio-Canada. Une poursuite signifierait son arrêt de mort. Alors, il n’a pas eu le choix de plier. Les baronnets ont eu ce qu’ils voulaient. Ils sont parvenus à museler un journal. Et les médias de tout le Québec ont rugi.

Ça semble être une fâcheuse tendance, les mises en demeure, à Sainte-Pétronille.

Pas moins de 97 habitants du village1, qui avaient signé une pétition réclamant une enquête sur les circonstances de l’embauche de la directrice générale, ont eux aussi été sommés de se taire, sous peine de poursuite judiciaire.

Autrement dit, Sainte-Pétronille menace de poursuivre 10 % de ses propres citoyens, s’ils continuent « le harcèlement, l’intimidation et la violence ». À leurs frais, bien entendu.

Oui, les assemblées peuvent être houleuses dans les petites municipalités du Québec. Oui, des citoyens peuvent être terriblement harcelants, au point même de pousser les élus à la démission. La tâche de ces derniers est parfois ingrate, il faut bien le reconnaître.

Mais menacer de traîner en justice le dixième de sa population, ça n’a pas de bon sens. Censurer un journal local, c’est inadmissible. Sainte-Pétronille doit se ressaisir, et faire mieux.

1. Lisez « Sainte-Pétronille met en demeure une centaine de citoyens »