(Sainte-Pétronille) Dans un geste inusité, une municipalité de l’île d’Orléans réputée pour ses paysages à couper le souffle et ses maisons cossues vient d’envoyer une mise en demeure à une centaine de citoyens, ce qui représente environ 10 % de sa population.

Démission de bénévoles, réunions du conseil houleuses, huissiers de justice, mises en demeure… Rien ne va plus depuis quelques semaines à Sainte-Pétronille. Le village situé à une vingtaine de minutes en voiture de Québec est le théâtre d’un conflit qui dégénère.

« Il y a une espèce de gros nuage », a lâché au micro lundi soir l’ex-sénatrice Renée Dupuis, résidante du village, lors d’une séance du conseil municipal. « Qu’allez-vous faire comme conseil pour désempoisonner l’atmosphère ? »

Comment l’air du village a-t-il été « empoisonné » ? Que se passe-t-il à la pointe de l’île d’Orléans, où un groupe de citoyens et les élus s’accusent mutuellement d’intimidation ?

L’arrivée d’une nouvelle directrice générale dans la municipalité et un banal conflit avec des bénévoles de la bibliothèque ont mis le feu aux poudres.

Les bénévoles de la bibliothèque municipale avaient l’habitude chaque été d’organiser un souper aux frais de la municipalité, vin inclus. C’était une sorte de petite récompense pour services rendus.

Mais cette année, la dépense a fait sourciller à l’hôtel de ville. La municipalité a annoncé aux bénévoles que l’alcool bu lors du souper ne leur serait pas remboursé. Elle leur a aussi annoncé que désormais, ils ne pourraient plus acheter directement les livres et se faire rembourser. L’hôtel de ville s’en chargera.

« Il y a des pratiques qui ne sont plus adaptées à la décennie dans laquelle on est », explique en entrevue le maire de Sainte-Pétronille, Jean Côté, qui dit vouloir assainir plusieurs anciennes façons de faire.

Des réunions ont eu lieu entre le maire et les bénévoles. Mais ceux-ci se sont rebiffés : les 14 bénévoles ont démissionné en bloc.

« Harcèlement, intimidation et violence »

Cette démission a été l’élément déclencheur. Des citoyens se sont alors intéressés à la directrice générale de Sainte-Pétronille, Nathalie Paquet, engagée en mai 2023. Ils ont fait une demande d’accès à l’information auprès de Val-des-Lacs, son dernier employeur, et auraient découvert qu’elle avait été mise à pied.

C’est alors que 97 citoyens ont envoyé une lettre par huissier aux élus de Sainte-Pétronille pour les informer de leur découverte. Ils demandaient une enquête et exigeaient que les élus reconsidèrent son embauche.

Estimant que sa directrice était attaquée et que des informations confidentielles avaient été diffusées, la municipalité a répliqué le 20 décembre en envoyant une mise en demeure aux 97 signataires, qu’elle menace de poursuite s’ils continuent le « harcèlement, l’intimidation et la violence ».

« Notre cliente ne peut voir en ces démarches que des mesures de représailles en raison des décisions relatives à la gestion du dossier de la bibliothèque municipale », écrit l’avocat de la municipalité.

Un choc dans la communauté

Les mises en demeure ont eu l’effet d’une bombe dans la petite communauté de 1055 habitants.

« C’est épouvantable, ce qui se passe dans la municipalité présentement. Comment voulez-vous favoriser un forum de discussion et d’échange quand 97 personnes ont reçu des mises en demeure de leur conseil municipal de ne pas enquêter sur telle chose, de ne pas dire telle chose ? », a lancé au micro un ancien maire de la municipalité, Alain Turgeon, lors de la séance du conseil municipal lundi soir. L’ancien maire a dit faire partie des citoyens mis en demeure.

Les séances du conseil municipal de novembre et de décembre derniers ont été particulièrement houleuses. Le maire n’a pas digéré de se faire traiter de « graine de dictateur » par un citoyen, notamment.

« Une centaine de personnes qui crient, il y en a un qui vous lance une vacherie comme ça, les autres applaudissent, un citoyen se lève dans la salle pour dire “ça n’a pas d’allure, ce que vous faites”, et il se fait huer… C’est l’anarchie », déplore M. Côté.

En entrevue, le maire fait valoir que les mises en demeure étaient une sorte de dernier recours pour ramener le calme dans la municipalité et pour protéger son employée. Les élus sont ébranlés, dit-il.

C’est une escalade faite par ce groupe, qui a monté du monde et transformé ça en une attaque publique sur une employée [la directrice générale]. Mais elle n’a rien à voir là-dedans parce qu’elle exécute les volontés du conseil.

Jean Côté, maire de Sainte-Pétronille

« [La directrice générale Nathalie Paquet] s’est retrouvée la tête de Turc et on s’acharne sur elle, lâche le maire. Je ne sais pas si ces gens connaissent la difficulté de recruter une DG. Si elle démissionnait, dans quelle situation la municipalité se retrouverait ? »

Un journal muselé ?

Le maire de Sainte-Pétronille inscrit ce dossier dans la lignée des cas de harcèlement d’élus qui font les manchettes au Québec depuis des mois. Mais plusieurs citoyens auxquels La Presse a parlé y voient l’inverse : une municipalité qui engage un important bureau d’avocats pour museler sa propre population.

« Le maire, évidemment, il se positionne en victime d’intimidation. Mais la municipalité refuse de voir qu’il y a un problème. Alors on ne peut pas discuter, on ne peut pas avancer. Ils n’écoutent pas ce que disent les citoyens », dit une citoyenne mise en demeure qui a demandé de taire son identité.

Lors de l’assemblée du conseil de lundi soir, un journaliste du journal local Autour de l’Île a d’ailleurs laissé entendre que la municipalité avait tenté d’étouffer l’affaire.

« Que dites-vous de l’intimidation dont a été victime le journal Autour de l’Île ? Le journal aussi a subi de l’intimidation de la part d’un avocat qui a menacé le journal de couper les fonds advenant qu’il publie un certain article », a lancé au conseil le journaliste Normand Gagnon.

« Je n’ai pas de commentaire là-dessus », a répondu le maire de Sainte-Pétronille.