La contestation judiciaire d’un règlement de la municipalité de Saint-Jérôme visant à interdire l’érection de campements de sans-abri sur la propriété publique pourrait modifier les stratégies des villes pour faire face à ce phénomène.

La Clinique juridique itinérante, un organisme de défense des droits des sans-abri, a intenté une poursuite judiciaire contre la petite ville des Laurentides, affirmant que l’interdiction contrevient aux droits fondamentaux des sans-abri.

L’organisme note la disparité entre la population locale d’itinérants et le nombre de lits disponibles dans les refuges d’urgence, soulignant que certains sans-abri « n’ont pas d’autres choix » que de dormir dehors.

Professeure de droit à l’Université d’Ottawa, Marie-Ève Sylvestre affirme qu’une victoire des plaignants devant les tribunaux pourrait signifier l’arrêt des démantèlements forcés des campements de sans-abri dans les villes où les solutions de rechange sont insuffisantes.

Selon elle, il y a un manque de clarté dans le droit des municipalités à démanteler des campements.

La professeure Sylvestre croit que la poursuite intentée contre Saint-Jérôme a le potentiel de faire jurisprudence en matière d’abri.

Dans les documents remis à la Cour supérieure du Québec, la Clinique juridique soutient que le règlement doit être déclaré inconstitutionnel, car il contrevient aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne inscrits dans la Charte canadienne des droits et des libertés.

« À cause du nombre très limité de places en hébergement d’urgence (six seulement), plusieurs personnes en situation d’itinérance n’ont d’autre choix que de dormir à l’extérieur dans des campements ou des abris de fortune situés dans différents endroits de Saint-Jérôme », mentionne-t-elle.

L’endroit offre aussi 50 places pour du logement temporaire. Une « halte-chaleur » pouvant accueillir une cinquantaine de personnes y a également été ouverte. Personne ne peut y dormir, toutefois.

La clinique fait aussi état des efforts des autorités pour empêcher les sans-abri à installer des tentes, mentionnant un incident s’étant déroulé le 22 octobre 2022 lorsque des agents ont remis des contraventions totalisant plus de 12 000 $ à 16 personnes qui campaient dans un parc public.

« L’éviction forcée desdites personnes sans mesures de protection et durant les mois de l’hiver représente une perturbation majeure qui constitue un traumatisme important pouvant avoir des effets aggravants pour des personnes déjà hautement vulnérables », peut-on lire dans la poursuite.

Alain Laliberté, un sans-abri âgé de 58 ans, est l’un de ceux qui ont reçu une amende pour avoir contrevenu à ce règlement. Il avance que le manque de lits et l’accumulation d’amendes sont autant d’obstacles à l’amélioration de sa vie.

« J’ai tout le temps des constats d’infraction. Je ne suis pas capable de payer. J’essaie de me relever, mais sur l’autre bord, ceux qui devraient m’aider donnent une jambette puis je tombe », se plaint-il.

Chantal Dumont, responsable de l’aide aux itinérants à l’organisme Le Book Humanitaire, déplore que le règlement ait contraint les sans-abri à se déplacer constamment dans la ville, ce qui complique la tâche de ceux qui tentent de leur prêter assistance.

« Le lien de confiance est bâti justement avec des petites actions comme ça et la constance de ces actions-là. Mais là, ça se peut que tu arrives le lendemain puis que la personne elle ait été délogée. Faut qu’on la cherche, faut qu’on la trouve… Est-ce qu’elle pense qu’on la cherchait, qu’on ne l’a pas trouvée ? Est-ce qu’elle pense qu’on l’a juste oubliée ? »

Elle soutient que les services aux personnes vulnérables n’ont pu suivre la hausse de la population des sans-abri qui a doublé de 2018 à 2022, selon les données provinciales.

Dans un communiqué de presse publié mercredi, la Ville de Saint-Jérôme défend son règlement interdisant les tentes et les abris temporaires dans les espaces publics. « Ce règlement vise notamment à assurer la sécurité des personnes afin de prévenir les risques d’incendie et d’intoxication au monoxyde de carbone dans les abris et les tentes », se justifient les autorités.

Le règlement interdit aussi l’utilisation d’appareils de cuisson ou de chauffage alimentés par des combustibles autres que solides dans ses rues, ses parcs et ses places publiques.

Le maire Marc Bourcier dit que la Ville espère collaborer avec les organismes communautaires et l’équipe Espoir du CISSS des Laurentides. « Mais elle ne peut se substituer au ministère de la Santé et des Services sociaux pour assumer les responsabilités populationnelles qui lui incombent en premier lieu », souligne-t-il.

Un porte-parole du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carman, dit que le gouvernement est déjà engagé à procurer des services et de l’aide aux sans-abri, mentionnant notamment les récents investissements à La Hutte et dans la mise en place d’un projet d’hébergement de 12 lits en mode 24/7 ainsi qu’un centre de jour à Sainte-Thérèse, à environ 25 km de Saint-Jérôme.

« Comme le ministre Carmant le mentionne toujours, l’objectif est de renverser la tendance en itinérance et, pour ça, nous aurons besoin de la collaboration de tous les acteurs impliqués dans la lutte contre l’itinérance », dit Lambert Drainville.

La Clinique juridique itinérante avait demandé une injonction interlocutoire provisoire pour empêcher les autorités à continuer de démanteler les campements, mais le juge a rejeté la requête le 5 janvier.

Tant la Clinique que la Ville ont refusé de formuler d’autres commentaires parce que les procédures sont en cours.