(Québec) Le gouvernement Legault veut décloisonner les métiers de la construction, mais il pourrait également permettre une plus grande mobilité des travailleurs à l’intérieur de la province. Les syndicats se préparent à un affrontement et affirment que ce geste nuirait aux régions.

« J’ai une terrible peur. Ils vont tuer les régions. La grande majorité de l’ouvrage est entre Montréal et Québec. Il va arriver quoi si les compagnies descendent en région avec leur main-d’œuvre ? Ça, c’est épeurant. J’espère que les gens vont se mobiliser », déplore Carl Dufour, président de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) Construction.

M. Dufour et les autres syndicats de la construction se préparent à un combat sur cette question.

Le ministre du Travail, Jean Boulet, doit déposer prochainement un projet de loi pour « moderniser le milieu de la construction ». Il a déjà détaillé une première mesure : permettre le décloisonnement de certains métiers, aussitôt décrié par les syndicats. Mais M. Boulet songe à tirer sur un autre levier pour rendre l’industrie de la construction plus compétitive : s’attaquer à la « mobilité » des travailleurs. Il n’a toutefois pas indiqué de quelle façon il y parviendrait.

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Le ministre du Travail, Jean Boulet, rencontrant des travailleurs de la construction en marge d’une annonce sur les formations accélérées en construction, en octobre dernier

En allant de l’avant, Québec répondrait en partie ou en totalité à la requête des représentants patronaux. L’Association de la construction du Québec (ACQ) demande l’abolition pure et simple des régions de construction.

Le responsable des affaires publiques de l’organisme, Guillaume Houle, donne en exemple un entrepreneur de Québec qui remporterait un contrat au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Les règles actuelles l’empêchent d’avoir une équipe composée à 100 % de travailleurs résidant dans la Capitale-Nationale. « Il va être obligé d’embaucher des employés qu’il ne connaît pas et de les former sur le tas, alors qu’une équipe de travail soudée est plus efficace », déplore-t-il.

Du côté de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), on estime que ce règlement est une « limitation au droit du travail » et qu’il s’agit de la « seule industrie où on empêche les gens de travailler en raison de leur code postal ».

La vice-présidente de l’organisme, Isabelle Demers, souligne que le statu quo crée des aberrations : des travailleurs qui résident dans une ville située à proximité d’une frontière entre deux régions peuvent se voir priver d’un travail à quelques kilomètres de leur domicile.

Des heures pour les travailleurs locaux

Mais les syndicats estiment que ces arguments sonnent creux. Ils plaident qu’en moyenne, les travailleurs de région travaillent moins d’heures que la moyenne provinciale et qu’il faut les protéger.

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Chantier de l’usine de Nemaska Lithium à Bécancour, en août dernier

Michel Trépanier, président du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International), croit que de répondre aux demandes patronales serait nuisible à l’économie des régions. Les travailleurs locaux, dit-il, devraient être les premiers à bénéficier de la manne du développement de la filière batterie à Bécancour, par exemple. Et « comme payeur de taxes », il estime que l’école qui sera bâtie près de chez lui devrait être érigée par des employés du coin.

Et s’il y a une pénurie de travailleurs dans une région, c’est surtout le signe qu’il faut en former davantage pour qu’ils s’y établissent.

Un « non catégorique » pour la FTQ

Pour Éric Boisjoly, de la FTQ-Construction, le plus gros syndicat de l’industrie, « c’est clair que c’est un non catégorique ». Il dit s’étonner de voir que François Legault, qui a historiquement « priorisé l’employabilité régionale », pourrait aller à l’encontre de ce principe. Il indique qu’en général, les maires et préfets des régions éloignées ont toujours été du côté des syndicats pour « garder nos jobs ».

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Éric Boisjoly, directeur général de FTQ-Construction

Du côté du Syndicat québécois de la construction (SQC), le directeur général Charles-Olivier Picard souligne que « le règlement sur la mobilité des travailleurs est là pour assurer un équilibre au niveau des emplois un peu partout en région ».

Est-ce que le travailleur domicilié à Rimouski doit être en compétition avec un entrepreneur domicilié en Beauce pour un travail à Rimouski ? Si la réponse est oui, je me questionne sur le bien-fondé d’un tel règlement.

Charles-Olivier Picard, directeur général du Syndicat québécois de la construction

Ils attendent avec impatience le dépôt du projet de loi de M. Boulet, qui devait être présenté à l’automne, mais qui a été reporté à l’hiver.

Main-d’œuvre demandée

Si le ministre Boulet veut moderniser la loi sur la construction, c’est pour répondre à un besoin criant. Malgré une forte diminution des heures travaillées dans le secteur résidentiel en 2023, il y a toujours entre 10 000 et 12 000 postes vacants dans l’industrie.

La Commission de la construction du Québec (CCQ) précise que la demande pour la main-d’œuvre reste élevée, « notamment dû aux annonces gouvernementales » : ces maisons des aînés, écoles et hôpitaux que le gouvernement caquiste cherche à ériger.

L’industrie nécessite près de 16 000 nouveaux travailleurs par année d’ici 2027 « pour répondre aux besoins et remplacer les départs ».

C’est largement supérieur à la capacité des écoles de métiers, avec ou sans la formation accélérée mise en place par le ministre et décriée par les syndicats. Les entreprises recrutent donc des travailleurs non qualifiés, formés grâce au système de compagnonnage. Ils représentent plus de 70 % des nouveaux venus dans l’industrie.

Il s’agit d’un problème identifié à la fois par les patrons et par les syndicats, qui soulignent que ces employés sont moins performants et ont tendance à délaisser l’industrie plus rapidement.

Où sont les femmes ?

Autre point soulevé : l’industrie aurait avantage à recruter davantage de femmes, de membres des Premières Nations et de personnes issues de l’immigration. « On est à environ 3 % de main-d’œuvre féminine dans l’industrie. On a des gens d’autres nationalités qui se sont établis au Québec. Les entrepreneurs sont réfractaires à les embaucher », déplore Éric Boisjoly de la FTQ-Construction. Il estime que le gouvernement du Québec pourrait hausser significativement le nombre de femmes, par exemple, en exigeant un seuil minimum à un entrepreneur pour obtenir un contrat public.

Mais le défi est complexe. « Les femmes affichent un taux d’abandon systématiquement plus élevé que les hommes », note une étude de la CCQ de 2021. Pour M. Picard, du SQC, il y a un gros travail de « prévention » à faire : « Des griefs de harcèlement avec la main-d’œuvre, ce n’est pas normal qu’on en fasse autant. »

Les propositions de l’industrie :

  • Décloisonner plusieurs métiers de la construction, ce qui augmenterait l’efficacité des travailleurs de 10 %, selon un sondage mené auprès d’entrepreneurs
  • Permettre la mobilité des travailleurs partout au Québec
  • Améliorer la formation

Les propositions syndicales :

  • Inclure une disposition anti-briseurs de grève dans la loi
  • Permettre la rétroactivité lors de la signature de la convention collective
  • Inclure un quota de femmes obligatoire sur un chantier pour obtenir un contrat gouvernemental
  • Modifier le cursus scolaire pour intégrer l’alternance travail-études