Des chiffres qui surprennent, d’autres qui enragent, d’autres encore qui émeuvent. Permettez-moi un retour numérique sur l’année 2023, que beaucoup ont bien hâte de laisser derrière – moi le premier. Un dernier soubresaut de coquinerie avant 2024.

10 000

Quiconque est doté d’une paire d’yeux l’aura remarqué : les sans-abri sont de plus en plus nombreux, et de plus en plus amochés, à Montréal et ailleurs au Québec. Les campements de fortune se multiplient. Les refuges débordent. Le personnel des organismes communautaires est à bout de souffle. Le financement manque, comme le démontre le triste exemple de l’Accueil Bonneau, qui devra bientôt cesser la distribution de repas les week-ends… Il y aurait maintenant 10 000 personnes sans domicile fixe dans la province, selon les résultats d’un grand recensement, et la réalité est sans doute pire. Crève-cœur.

22 h

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Foule au Festival de jazz en juillet dernier

Pas dans ma cour, vous dites ? J’écrivais à l’automne sur ces citoyens qui emménagent à côté de bars et de salles de spectacle en toute connaissance de cause et multiplient ensuite les plaintes pour le bruit. L’inconséquence ne connaît pas de limites : des résidants des nouvelles tours de condo qui ont poussé autour de la place des Festivals, en plein cœur du Quartier des spectacles, commencent aussi à chialer, selon mes informateurs. Ces champions de l’individualisme voudraient que les spectacles extérieurs gratuits du Festival de jazz ou des Francos, bouclier anti-inflation par excellence pour les familles, finissent à 22 h plutôt que 23 h. Mettez-vous des bouchons ou déménagez !

3,2 millions

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La présidente déchue de l’Office de consultation publique de Montréal Isabelle Beaulieu

C’est le budget de fonctionnement de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) cette année, 200 000 $ au-dessus de la limite établie. Les folles dépenses des dirigeants de l’OCPM ont fait couler beaucoup d’encre, et on verra bien ce qu’il adviendra de cet organisme paramunicipal en 2024 après sa restructuration. Ce qui m’a le plus marqué, au-delà de la gestion nonchalante des fonds publics, est l’extrême vulgarité de la présidente déchue Isabelle Beaulieu. La Presse a révélé cette semaine des échanges de textos entre Mme Beaulieu et le secrétaire général de l’OCPM, Guy Grenier1. « Les fuckers auront fait du tord [sic] à l’office », écrivait-elle au sujet des journalistes de Québecor qui ont déterré le scandale. Je vous laisse juger qui a réellement le plus nui à la réputation de l’organisme.

½

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Inauguration du REM, le 31 juillet dernier

La moitié des 31 000 km de routes entretenues par le ministère des Transports du Québec sont dans un mauvais état, selon un rapport accablant de la vérificatrice générale. Pire : une « proportion importante » de ces chaussées ont atteint leur fin de vie. La vérificatrice Guylaine Leclerc a varlopé au passage le Ministère pour l’insuffisance de ses travaux d’entretien, sa piètre planification et son manque général d’informations claires au sujet de l’état de son propre réseau. Heureusement qu’il y a les transports en commun…

½ (bis)

Veuillez oublier ici ma dernière phrase. Ce fut une année pénible pour le transport collectif. Même si, paradoxalement, de gros projets ont été inaugurés ou enfin mis en chantier – je parle ici de la première branche du Réseau express métropolitain (REM) et du prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal. Deux ombres gigantesques ternissent le tableau : les sociétés de transport ont passé l’année à tenter de convaincre la ministre Geneviève Guilbault de réinvestir dans leurs opérations (et leurs déficits), et la gouvernance de plusieurs projets a été marquée par un fouillis indescriptible. Peu réjouissant. Entre-temps, le tramway de Québec a été annulé par le gouvernement Legault, après des dépassements de coûts gigantesques. Son sort est en suspens – tout comme le demi-milliard de dollars déjà consacré au projet.

1 an

IMAGE BLOUIN TARDIF ARCHITECTES, FOURNIE PAR UTILE

Le futur immeuble résidentiel Le Méridien, à l’angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue Ontario à Montréal, comptera 167 logements abordables pour étudiants.

Ceux qui suivent cette chronique commencent peut-être à trouver que je radote : j’en ai plein le casque de la bureaucratie, ou plutôt des bureaucraties, qui s’additionnent, s’entrelacent et s’encroûtent au détriment de la collectivité. Cette chape de plomb est particulièrement nuisible dans le secteur de l’habitation, mais elle ne constitue pas une fatalité. L’UTILE, un organisme qui multiplie les projets de logement étudiant, a reçu un coup de main inespéré cette année2. La Ville de Montréal a retiré plusieurs de ses habituels obstacles administratifs en vue de faciliter un projet de 167 logements au centre-ville. Résultat : l’UTILE a pu devancer son échéancier d’un an et économiser au moins 3 millions en coûts de construction et de financement. C’est majeur. Je le répète : il faut multiplier ces allègements partout.

1 190 000

Il faudra plus qu’une réduction de la bureaucratie pour relancer la construction, cela dit. Selon les prévisions de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), il faudrait construire presque 1,2 million de logements au Québec d’ici la fin de la décennie pour espérer revenir à une certaine forme d’« abordabilité ». Ce sont ainsi 148 000 logements qui devraient sortir de terre tous les ans pour atteindre cette cible… à des années-lumière du rythme actuel. Selon la SCHL, si la tendance se maintient, il y aura à peine 41 250 mises en chantier chaque année au Québec d’ici 2030, un nombre extraordinairement insuffisant3. On attend toujours le plan d’action de la ministre provinciale responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau.

- 48

Je vous avais promis plus tôt cette année 50 chroniques au sujet du gaspillage de fonds publics4. J’en ai livré deux jusqu’à maintenant. Un déficit impardonnable. Je fais acte de contrition et m’engage à vous en livrer plusieurs autres en 2024. Car les exemples d’usage discutable de notre argent, malheureusement, risquent encore une fois de pulluler. Quelques hypothèses, hautement hypothétiques ? Il y aura de petits dossiers, comme ces chalets rénovés à coups de millions dans les parcs d’une grande métropole, et ces cas plus lourds, sortis des boules à mites, qui pourraient, selon la tendance des sondages, inclure un nouveau lien routier entre deux villes que je ne nommerai pas. Une vraie question-mystère à 10 milliards. Qui vivra verra (ou pas).

Une

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

L’hôpital Jean-Talon, à Montréal, où notre chroniqueur a été soigné

Vous m’en permettrez une petite dernière pour la route, qui s’accompagne d’une alerte au cliché : on n’a qu’une seule vie à vivre. Je l’ai appris à mes dépens cette année après m’être colletaillé à la bactérie mangeuse de chair5. J’ai eu la chance de recevoir des soins de haut calibre à l’hôpital Jean-Talon, dont je salue encore une fois tout le personnel. Vous avez depuis été plusieurs centaines à me raconter des histoires similaires, de maladie, de rémission et d’espoir. De deuil, aussi. Je vous remercie de votre touchante générosité. Sur ce, je nous souhaite collectivement des services publics plus accessibles pour tous en 2024, un soupçon de légèreté et une bonne dose de lâcher-prise. La santé, surtout, pour chacun d’entre vous, chers lecteurs.

Tant qu’à y être, quels chiffres vous ont marqué dans la dernière année ? Et lesquels surveillerez-vous en 2024 ?

Allez, bonne année !

1. Lisez « Dépenses à l’OCPM : la crise vue à travers les textos des dirigeants » 2. Lisez « Un bon coup à répéter à toutes les sauces, SVP » 3. Lisez « Un déficit de 1,2 million de logements au Québec ! » 4. Lisez « Cette désagréable sensation de ne pas en avoir pour son argent » 5. Lisez « La mangeuse de chair n’a pas eu ma peau »