Un million cent quatre-vingt-dix mille.

Je vous le répète en chiffres, par souci de clarté : 1 190 000.

C’est le nombre de logements qu’il faudrait construire au Québec d’ici la fin de la décennie pour revenir à une certaine forme d’« abordabilité », semblable à celle qu’on retrouvait au début des années 2000⁠1.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais bien la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), l’autorité ultime en matière d’habitation au pays.

Je ne dévoilerai pas de primeur ici : nous sommes extraordinairement loin du compte.

On répète aux journalistes de ne pas mettre trop de chiffres dans leurs textes, pour ne pas rebuter les lecteurs, mais j’aimerais tester les limites avec cette chronique.

Préparez-vous donc à une pelletée de nombres, suivie d’une poignée de solutions, pour renverser la tendance désastreuse des mises en chantier.

Si le rythme actuel se maintient, il devrait se construire en moyenne 41 250 logements par année dans la province d’ici 2030, soit 330 000 au total, selon la SCHL.

C’est très peu, et c’est bien en deçà des besoins actuels et futurs en logements abordables, condos et autres bungalows.

Pour ramener le marché immobilier vers des prix plus raisonnables, il faudrait ajouter à ce nombre 860 000 unités d’ici la fin de la décennie, prévoit la SCHL.

Il faudrait donc créer au bas mot 148 750 nouveaux logements par année, pour un total de presque 1,2 million d’unités supplémentaires, à l’horizon 2030.

C’est un objectif ultra-ambitieux, irréaliste sans aucun doute. Mais le calcul est bêtement mathématique, avec la croissance prévue de la démographie et de l’économie.

La tendance, comme je l’écrivais plus haut, va dans la mauvaise direction. Plein sud.

Les mises en chantier sont en chute libre dans l’ensemble du Québec, et encore plus dans le Grand Montréal.

Le Mouvement Desjardins s’attend à 35 500 nouvelles constructions cette année dans la province, en recul de 38 % sur un an, et à 14 835 dans la métropole, en baisse de 39 %.

Le pire score en deux décennies.

Les prévisions sont presque aussi faméliques pour l’an prochain, avec 37 000 constructions neuves prévues à l’échelle provinciale, selon Desjardins.

On peut en faire beaucoup plus. C’est possible. Cela s’est vu pas plus tard qu’en 2021, au cœur de la pandémie, avec 67 810 mises en chantier, un sommet depuis la fin des années 1980 au Québec.

Mais voilà, on l’a dit et redit : le marché n’est plus du tout ce qu’il était il y a deux ans.

Les taux d’intérêt ont explosé, les coûts de construction aussi, ce qui a forcé bien des promoteurs à prendre un temps d’arrêt, lorsqu’ils n’ont pas carrément cessé leurs activités.

Le défi d’augmenter radicalement les mises en chantier sera « immense », reconnaît Francis Cortellino, économiste à la SCHL. « Cela démontre par contre l’importance d’avoir l’implication des différents intervenants afin de trouver des solutions à ce manque d’offre. »

Il y a justement plusieurs pistes de solution pour accélérer la cadence. Aucune n’est magique, mais certaines apparaissent d’emblée plus efficaces et facilement applicables que d’autres.

En voici une première, qui relève du gros bon sens : il faut arrêter de mettre des bâtons dans les roues des constructeurs qui proposent de bons projets.

Voici un exemple tout frais d’embûches inutiles :

Le groupe Rachel-Julien a acheté en 2019 un vaste terrain dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, en vue d’y construire 1008 appartements. Le projet, énorme, coche toutes les bonnes cases. Il prévoit des condos, des logements sociaux, un volet abordable, une clinique médicale, une garderie, une épicerie, de la verdure…

Mais voilà, le projet a été barouetté d’une instance à l’autre, il s’est buté à l’opposition d’une poignée de voisins, et les délais se sont accumulés pendant que la crise du logement s’accentuait.

Rachel-Julien a finalement obtenu son permis de construction pour la première phase de 210 logements… cinq ans après avoir acquis le terrain ! Les premières unités seront livrées en 2025, sept ans après l’achat du lot, un délai qui aura coûté 7 millions au promoteur, en pure perte.

C’est un gâchis scandaleux, mais regardons plutôt vers la ligne d’horizon, où une sortie de crise pourrait se profiler.

Les économistes Hélène Bégin et Maëlle Boulais-Préseault, de Desjardins, proposent plusieurs mesures très concrètes pour accroître l’offre de logement⁠2. Leurs suggestions s’adressent aux municipalités, à Québec et à Ottawa, souvent aux trois en même temps.

Voici les mesures qui auraient selon elles une incidence « élevée » pour renverser la vapeur :

  • Réduire au maximum les délais d’approbation des projets ;
  • Modifier le zonage pour augmenter la densité des immeubles ;
  • Revoir les processus de consultation pour ne plus permettre à une poignée de citoyens de bloquer des projets qui sont dans l’intérêt de la collectivité ;
  • Encourager la construction avec différentes mesures fiscales et d’autres incitatifs et subventions ;
  • Mieux coordonner les mesures d’aide des différents ordres de gouvernement pour construire des logements abordables ;
  • Remplacer les redevances de développement imposées par plusieurs villes par des incitatifs fiscaux ;
  • Convertir davantage de bâtiments existants en logements étudiants.

Ce sont toutes là d’excellentes suggestions qui méritent d’être examinées avec une loupe géante par nos décideurs. Et appliquées au plus sacrant.

La débureaucratisation est possible et devrait devenir la norme à viser pour tous les ordres de gouvernement. On l’a vu avec un exemple récent de logements étudiants à Montréal⁠3.

Dans la (minuscule) case des bonnes nouvelles, on peut s’attendre à un réinvestissement important dans le logement abordable. Québec doublera le montant de 900 millions attendu de la part du fédéral, et des détails seront annoncés à la mise à jour budgétaire du 7 novembre prochain.

Le gouvernement Legault songe aussi à donner davantage de pouvoirs aux municipalités, ai-je appris, pour leur permettre d’imposer plus facilement la densification de certains quartiers.

C’est prometteur et souhaitable. Il faudra multiplier ce type de mesures, tous azimuts, pour arriver à un début de redressement des mises en chantier.

1. La SCHL définit l’abordabilité selon « la part du revenu après impôt qu’un ménage à revenu moyen devrait consacrer à l’achat d’un logement moyen ». Son objectif, d’ici 2030, est de « ramener l’abordabilité aux niveaux observés pour la dernière fois vers 2004, avant le début de la croissance des prix qu’une grande partie de la population canadienne subit depuis plus de 10 ans ».

2. Lisez l’étude de Desjardins 3. Lisez la chronique « Un bon coup à répéter à toutes les sauces, SVP »