Il aimait parler de poussières d’étoiles et communiquer les dernières nouvelles du cosmos. Mais il avait tout autant à cœur le sort de cette petite planète bleue où il aura marché durant pratiquement un siècle avant de la quitter pour d’autres univers.

Hubert Reeves, célèbre astrophysicien québécois, vulgarisateur scientifique, écologiste, écrivain et humaniste, est mort vendredi à l’âge de 91 ans. Son fils Benoît Reeves en a fait l’annonce sur Facebook.

Cet homme à la voix singulière et posée, qui pratiquait une sorte de pédagogie tranquille, a marqué les esprits tant chez ses collègues scientifiques qu’auprès du grand public. Assez, en fait, pour que son nom soit attribué à un astéroïde, une école, un prix littéraire, un écocampus…

Né le 13 juillet 1932, Hubert Reeves a grandi à Léry (autrefois Bellevue), petite communauté à l’ouest de Châteauguay baignée par les eaux du lac Saint-Louis, un renflement du Saint-Laurent en face de l’île Perrot.

La famille n’est pas riche, mais les valeurs de l’éducation y sont fermes. Dans ses mémoires, Je n’aurai pas le temps, parus en 2012, M. Reeves raconte ses premiers émois scientifiques lorsque son père arrive un jour avec les 12 volumes de L’Encyclopédie de la jeunesse. En plus de plonger le nez dans les livres, le jeune Hubert Reeves aime bien regarder le ciel, avec sa famille, au bord du lac Saint-Louis.

Parmi les premières rencontres déterminantes de sa vie, il y a le père Louis-Marie, un ancien prétendant de sa mère devenu ecclésiastique. Ce dernier possède un laboratoire et lui montre des microorganismes en mouvement. Une découverte si enthousiasmante que lorsqu’il doit répondre à la question « Nommez des êtres invisibles » dans un cours de catéchisme, Reeves lance : « Les anges, les démons, les microbes et les chromosomes ! »

Autre coup de foudre, à 17 ans, lorsqu’il écrit à l’Université Harvard dans l’espoir d’aller visiter le télescope de l’établissement. On l’accueille durant un mois, moyennant un dollar par jour !

Ses parents, ayant déterminé qu’ils devaient leur léguer l’éducation en héritage, envoient leurs enfants étudier au collège Jean-de-Brébeuf. En 1942, une maison est achetée dans le secteur afin d’être près de l’établissement et de l’Université de Montréal.

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Au début de sa carrière, Hubert Reeves s’est notamment intéressé à la nucléosynthèse.

C’est là que Hubert Reeves décroche son baccalauréat en physique (1953). Il poursuit ses études à l’Université McGill, où il obtient une maîtrise en physique atomique (1955), et à l’Université Cornell, d’où il ressort avec un doctorat en astrophysique nucléaire en 1960.

Dès lors, sa carrière d’enseignant s’amorce.

Montréal, Bruxelles, Paris

Sans surprise, Hubert Reeves est courtisé par l’Université de Montréal, où il commence à enseigner en 1960. Mais le scientifique n’est pas à l’aise dans la mouvance nationaliste amarrée à la Révolution tranquille. Dans l’établissement se répand l’idée d’utiliser uniquement des livres en français, constate-t-il. Ses confrères refusent par ailleurs un projet d’association avec l’Université McGill pour la construction d’un accélérateur de particules de peur que l’anglais domine les travaux.

« J’en fus navré et plus que jamais décidé à prendre un peu l’air… », narre l’astrophysicien dans Je n’aurai pas le temps. À cela s’ajoute le constat, ou plutôt la crainte, de voir l’ensemble de sa carrière se cristalliser au Québec.

Or, Hubert Reeves voit grand. Il a envie d’aller découvrir d’autres coins de la planète, notamment l’Europe. Lorsque l’Université libre de Bruxelles lui propose un poste de professeur invité en 1964, il accepte.

L’installation de M. Reeves et de sa jeune famille à Bruxelles marque un moment important dans sa vie professionnelle. Un an plus tard, il accepte un poste de directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique de Paris et de conseiller scientifique au Commissariat de l’énergie atomique de Saclay, en France. Il conservera ces postes jusqu’à la fin de sa carrière.

Hubert Reeves ne rompt pas pour autant ses liens avec l’Université de Montréal, dont il reste professeur associé. Chaque année, en octobre, il revient à l’UdeM pour enseigner la cosmologie au département de physique.

Il donne aussi des conférences de vulgarisation scientifique au département d’éducation permanente (d’aucuns se rappelleront sa présence aux Belles soirées).

Sur le site de l’UdeM, une page consacrée à M. Reeves le présente comme professeur honoraire. On y fait un résumé de ses propres travaux scientifiques. « Fondées sur l’astrophysique nucléaire, ses recherches ont porté sur l’origine des éléments chimiques, y lit-on. Il a également réfléchi sur l’origine du système solaire, celle de l’univers et la cosmologie. »

M. Reeves s’est aussi intéressé à la nucléosynthèse, soit le processus responsable de la formation des noyaux atomiques à des moments précis dans le développement de l’univers. « Quand j’ai commencé à faire mon doctorat, on avait l’idée que les atomes viennent des étoiles, mais il fallait dire de quelles étoiles. […] Il s’agissait de pouvoir identifier et dire quels types d’atomes [des éléments du tableau périodique] provenaient de quels types d’étoiles », résume-t-il dans une entrevue à Radio France.

Au début de sa carrière, il signe d’ailleurs deux ouvrages sur le sujet, Stellar Evolution and Nucleosynthesis et Nuclear Reactions in Stellar Surfaces.

Vulgarisateur et environnementaliste

On pourrait s’étendre encore longtemps sur les recherches scientifiques de l’astrophysicien.

Mais ce dernier, faut-il le rappeler, a fait sa marque dans le grand public avec son travail exemplaire de vulgarisation scientifique et son engagement pour la sauvegarde de l’environnement et de la planète.

Outre par les conférences, M. Reeves affine son travail de vulgarisation en prenant la plume pour écrire des ouvrages sur des sujets qui le passionnent (Patience dans l’azur, Poussières d’étoiles, Dernières nouvelles du cosmos) et d’autres qui l’inquiètent. Ainsi, Mal de Terre, ouvrage écrit avec le philosophe et sociologue Frédéric Lenoir, se penche sur les effets du réchauffement climatique.

Les interventions de M. Reeves en faveur de l’environnement sont nombreuses et ont pris plusieurs formes.

En 2000, il devient par exemple président du Rassemblement des opposants à la chasse (ROC), association nationale française renommée depuis Humanité et biodiversité. Il occupe ce poste jusqu’en 2015 pour ensuite en devenir le président d’honneur.

En octobre 2005, de passage à Montréal, notamment pour une conférence avec David Suzuki, le scientifique indique en entrevue à La Presse qu’Hydro-Québec ne devrait pas rénover la centrale nucléaire Gentilly. Précisant qu’on ne peut cesser le nucléaire du jour au lendemain, car la dépendance en électricité de certains pays, dont la France, repose beaucoup sur cette ressource énergétique, il déclare : « Il faut axer les investissements sur l’éolien et le solaire et se débarrasser du nucléaire le plus vite possible. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

David Suzuki et Hubert Reeves en conférence à Montréal, en octobre 2005

Quelques années plus tard, dans le documentaire Conteur d’étoiles de la réalisatrice québécoise Iolande Cadrin-Rossignol, Hubert Reeves rappelle que si l’humanité disparaît, ce sera en raison de ses propres agissements.

« Je pense que l’humanité n’est pas nécessairement la favorite de la nature. Que l’humanité peut très bien disparaître, disait-il. Que nous ne sommes pas une espèce sacrée ! Il y a eu dix millions d’espèces animales jusqu’ici et quelque neuf millions ont été éliminés. Nous ne sommes pas l’espèce élue, comme on l’a cru pendant longtemps. La nature peut très bien se passer de nous. Elle ne nous éliminera pas. C’est nous qui pourrions nous éliminer. Et si nous nous éliminons, la nature ne fera pas particulièrement un deuil. Elle continuera à développer d’autres espèces en espérant que ces espèces seront plus en mesure de se préserver et de ne pas se laisser détruire. »

Enfin, Hubert Reeves était un grand amateur de musique et a prêté sa voix comme récitant ou commentateur à de nombreuses œuvres, notamment Pierre et le loup de Prokofiev, Ma mère l’Oye de Ravel et même Winnie the Pooh (Milne/Barab). Ses nombreux ouvrages destinés aux enfants témoignent aussi de son désir de transmission.

Honneurs

Au cours de sa longue carrière, Hubert Reeves a reçu une constellation de prix, de titres et d’hommages.

Dès le 27 mai 1983, l’Université de Montréal lui décerne un doctorat honorifique. D’autres universités lui emboîteront le pas. Fait commandeur de la Légion d’honneur de la France en 2003, M. Reeves est aussi grand officier de l’Ordre national du Québec, Compagnon de l’Ordre du Canada et membre de la Société royale du Canada. La Ville de Léry lui a aussi remis le titre de citoyen d’honneur.

Parmi les nombreuses récompenses qu’il a remportées au cours de sa carrière, citons le Grand Prix de la Francophonie remis par l’Académie française en 1989, le prix Albert-Einstein en 2001 remis par le Conseil culturel mondial et le prix Samuel de Champlain de l’Institut France-Canada en décembre 2002.

Toute sa vie, Hubert Reeves a continué à nourrir son insatiable curiosité. Dans l’ouvrage 80, 90, 100 à l’heure ! que nos collègues Alexandre Sirois et Judith Lachapelle consacrent à des octogénaires et des nonagénaires inspirants, il confiait se lever parfois la nuit pour lire ses chères revues scientifiques.

C’est comme une urgence de vivre. L’urgence de connaître ce fameux monde dans lequel on est débarqué. J’aimerais comprendre quel est le sens de cette vie.

Hubert Reeves

Hubert Reeves est le père de quatre enfants, Gilles, Nicolas, Benoît et Evelyne, de son premier mariage avec Francine Brunel. Il est aussi huit fois grand-père, selon son site officiel (hubertreeves.info). En 1990, il a épousé en deuxièmes noces la journaliste Camille Scoffier.

Le couple vivait entre Paris et Malicorne, ferme de la région naturelle de Puisaye dans le département de l’Yonne, au sud-est de la capitale. Les promenades de l’astrophysicien dans la nature de cette région – aussi associée à la femme de lettres Colette – lui ont inspiré l’ouvrage Malicorne, sorti en 1995.

Dans le domaine éducatif, on note qu’à mi-chemin entre Besançon et Genève, la petite communauté de Champagnole a donné son nom à l’école élémentaire. C’est aussi le cas à Louvigny, dans la région du Calvados. À Montréal, l’école Fernand-Seguin comprend un pavillon Hubert-Reeves depuis 2006.

Chaque année, la bourse Hubert-Reeves est remise à des étudiants québécois pour promouvoir la recherche en astrophysique. Un prix Hubert-Reeves qui récompense le meilleur ouvrage canadien francophone de vulgarisation scientifique est aussi remis annuellement par l’Association des communicateurs scientifiques du Québec.

Et quelque part dans le cosmos, sur une orbite héliocentrique passant entre Mars et Jupiter, se déplace l’astéroïde Hubertreeves (1999) découvert six ans plus tôt par l’astronome belge Eric Walter Elst depuis l’observatoire La Silla du Chili.

En savoir plus
  • Une dimension d’angoisse
    « C’est toujours intéressant de voir pourquoi on choisit un métier plutôt qu’un autre. Et en particulier pourquoi on devient scientifique. Je le vois par rapport à moi, par rapport à beaucoup de mes collègues. Il y a très souvent une dimension d’angoisse. Il vaut mieux savoir ce qui se passe que de ne pas le savoir. Il vaut mieux comprendre, explorer dans quoi on vit. Et le scientifique est celui qui a besoin d’explorer et en particulier de se rassurer parce que ce monde dans lequel on vit, jusqu’à un certain point, peut être exploré, expliqué. »
    Hubert Reeves, dans le documentaire Conteur d’étoiles de Iolande Cadrin-Rossignol