J’ai eu le luxe du temps, au cours des derniers mois.

Forcé à l’inactivité par une convalescence, j’ai passé de longs moments assis sur mon balcon, dans un quartier central de Montréal. Si on m’avait téléporté au Lac-Saint-Jean à l’époque de mes grands-parents, je me serais sans aucun doute bercé sur le perron.

Je contemplais.

J’ai vu les bourgeons fleurir, en mai. Les enfants prendre d’assaut les trottoirs après la fin des classes, en juin. Les déménageurs et rénovateurs en tout genre s’activer, en juillet.

Et aussi : une série d’aberrations qui m’ont hérissé en tant que citoyen et contribuable.

De mon perchoir, j’ai observé en temps réel une déroutante opération de colmatage de nids-de-poule, dont ma rue avait un besoin criant.

Trois cols bleus ont mis deux jours à charroyer du bitume à la pelle sur un petit tronçon de rue d’à peine 300 mètres. Ils ont bouché un trou sur trois, à vue de nez. Et le qualificatif « bouché » est généreux, puisque la chaussée avait presque aussi mauvaise mine une fois ce saupoudrage terminé.

De l’ouvrage bâclé, réalisé à la vitesse de l’escargot.

Non loin de là, dans ce quartier que j’aime malgré tout, la rue a été éventrée puis refermée au moins trois fois à la même intersection, avec tout ce que cela entraîne de cônes orange et de dérangements.

Explications données par l’arrondissement ? Aucune.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le Centre de transport Bellechasse, de la STM, en construction depuis plusieurs années

Toujours dans le même secteur, la Société de transport de Montréal (STM) a continué la construction de son garage d’autobus magique. J’écris « magique », car cet immeuble, annoncé comme souterrain, est en réalité aussi haut que le viaduc Van Horne, juste à côté.

Abracadabra !

Détail non négligeable : le projet annoncé au coût de 254 millions est maintenant évalué à près de 600 millions.

Le retard se calcule en années.

Le compteur tourne, mais pourquoi s’en soucier ?

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Ce ne sont là que quelques exemples déplorables observés dans un périmètre minuscule d’un kilomètre carré.

Partout à Montréal, et à l’échelle du pays, on voit de plus en plus de projets qui dérapent, souvent sans autre explication que l’inflation et la pénurie de main-d’œuvre qui ont le dos bien large. Les coûts de construction ont explosé, bien sûr, mais cela ne saurait tout justifier.

On se retrouve constamment avec des dépassements gigantesques, ou encore des ouvrages bâclés, comme cette chaussée gondolante du boulevard Saint-Michel, illustrée au début de cette chronique.

Personne n’est jamais vraiment responsable.

On hausse les épaules en attendant le prochain fiasco.

L’excellence et la rigueur semblent être devenues l’exception plutôt que la norme dans les projets publics, petits et grands. Ce qui envoie un reflet très malheureux de notre société, je trouve.

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Il y a un dénominateur commun à tous ces dérapages : la gouvernance. Le terme est peu sexy, mais tellement crucial.

Comme dans tout bon comité interministériel, intergouvernemental et transversal, il y a plusieurs sous-catégories à prendre en considération.

1. Il y a la mauvaise gouvernance, qui s’explique généralement par l’incompétence des dirigeants en place. La manière dont ces administrateurs et autres gestionnaires sont nommés est souvent au cœur du problème.

Un exemple devenu un classique : l’ancien conseil d’administration de la Société immobilière du Québec, qualifié de « gang de pas bons » par l’ex-ministre des Finances Monique Jérôme-Forget dans une truculente entrevue de 2016.

Voyez l’entrevue de Monique Jérôme-Forget

2. Il y a la surgouvernance, aussi. Très populaire au Québec, mais aussi à Ottawa et tout spécialement à Montréal. Elle se manifeste par une multiplication de sous-comités et groupes de travail qui se renvoient sans cesse la balle, souvent au mépris des résultats.

Le dossier du prolongement de la ligne bleue du métro en a été un bon exemple. Non seulement le projet a changé de cap au fil de l’humeur des gouvernements depuis 40 ans, mais aussi sa gestion a été écartelée entre 14 comités distincts !

Lisez l’article « Prolongement de la ligne bleue : Y a-t-il un pilote dans le métro ? »

3. Il ne faut pas négliger non plus cette autre catégorie, celle de la gouvernance apathique, qui accepte le statu quo sans réellement chercher à donner un coup de barre.

Les dirigeants de ce sous-groupe ont toujours de bonnes excuses pour justifier leur inaction. Au menu des coupables généralement désignés : les syndicats et leurs conventions collectives trop rigides.

Tristement, on retrouve un mélange de toutes ces catégories dans la gestion de bien des organismes et de plusieurs projets. Une recette pour le désastre, surtout lorsqu’on ajoute à l’équation la rigidité des processus d’appels d’offres publics et autres directives gouvernementales.

Je pourrais écrire une série de 50 chroniques sur le sujet. (Devrais-je ?)

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Il y a quand même quelques minces rayons d’espoir.

Québec veut créer deux agences, en santé et dans les transports collectifs, pour simplifier les façons de faire et accélérer la réalisation des grands projets. La Ville de Montréal souhaite quant à elle aider l’industrie de la construction avec une « cellule facilitatrice » qui permettra, peut-être, de faciliter la facilitation.

On ne peut qu’espérer que les forces obscures de la bureaucratie ne fassent pas achopper ces réformes. Car les gains d’efficacité pressentis sur papier, trop souvent, ne se concrétisent pas dans la réalité.