Ce devait être la grande rentrée du transport collectif à Montréal, nimbée de joie et d’allégresse.

Le ruban du Réseau express métropolitain (REM) a été coupé. Les travaux de prolongement de la ligne bleue ont enfin débuté. Des projets de trains légers se trament à Longueuil et dans l’est de l’île. On parle de construire un tramway dans le Sud-Ouest…

Il y a du mouvement, de nouvelles perspectives.

Malheureusement, c’est plutôt une série de cafouillages qui retient l’attention depuis une semaine.

Au point où la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a exprimé son impatience non dissimulée envers l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), qui gère tout ce secteur à Montréal.

Elle a refusé de dire si elle faisait toujours confiance à son directeur général, Benoît Gendron. Ce qui ressemble plutôt à un désaveu, on va se le dire.

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À l’origine de son courroux : des histoires gênantes révélées par mes collègues Tristan Péloquin, Henri Ouellette-Vézina et Philippe Teisceira-Lessard.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Un étudiant en graphisme a créé (et installé) une série de panneaux signalétiques afin de guider les usagers du REM.

Ils ont raconté comment un étudiant de Concordia en graphisme de 21 ans avait réussi, en quelques heures, à créer (et installer) une série de panneaux signalétiques afin de guider les usagers dans les dédales souterrains entre le métro et la station Gare Centrale du REM. Cela, alors que le REM était déjà en service depuis plusieurs semaines.

Lisez « Signalisation vers le REM déficiente : un étudiant prend les choses en main »

Comment, aussi, un étudiant de McGill est parvenu en trois petits mois à programmer un logiciel qui permet de recharger la carte OPUS directement avec son téléphone cellulaire.

Lisez « Recharge de la carte OPUS : un étudiant dame le pion à l’ARTM »

Autant d’histoires qui n’envoient « pas un signal d’efficacité » de l’ARTM, a résumé Geneviève Guilbault jeudi sur les ondes de Radio-Canada.

On pourrait difficilement la contredire.

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Il y a toutes sortes de nuances à apporter, bien sûr, comme le fait que les applications de paiement électronique doivent comporter plusieurs strates de sécurité. L’ARTM a mandaté une firme qui devrait pondre un programme fonctionnel en 2024.

On va laisser la chance au coureur.

Mais tout ce feuilleton de paiement mobile reste franchement déroutant, d’autant plus qu’on a appris ce mercredi matin, encore dans La Presse, qu’un projet est dans les cartons depuis 2018. Il y a plus de cinq ans !

C’est long et incompréhensible, surtout dans une ville, Montréal, qui est le berceau de certains des plus grands laboratoires d’intelligence artificielle de la planète.

M’enfin.

Au-delà des bévues technologiques et signalétiques, si embarrassantes soient-elles, la sortie récente de la ministre Guilbault révèle l’ampleur du fossé entre les attentes de Québec et la performance de l’ARTM dans plusieurs dossiers.

La perte de confiance n’est pas totale, mais l’organisme est sous haute surveillance, selon mes informations.

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Ce brouhaha ne devrait réjouir personne.

Les projets de transports en commun sont de plus en plus complexes, de plus en plus chers, et requièrent une gouvernance de la plus stricte rigueur.

À l’exception du REM, un réseau de train léger de 67 kilomètres développé par une filiale de la Caisse de dépôt et placement, les chantiers progressent à pas de tortue dans la métropole québécoise.

Il aura fallu quatre décennies pour réussir à prolonger la ligne bleue du métro de cinq stations vers Anjou. Et 13 ans pour inaugurer le service rapide par bus (SRB) sur le boulevard Pie-IX, essentiellement une voie réservée au centre de la chaussée, dotée de nouveaux abribus.

Trop souvent, les projets ont été modifiés, tablettés, puis réannoncés au gré des différents gouvernements. Rien pour encourager les automobilistes à remiser leur véhicule au garage…

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L’ARTM a été créée en 2017 pour d’excellentes raisons. Elle visait notamment à chapeauter toute la planification des transports en commun dans le Grand Montréal, qui était jusque-là écartelée entre plusieurs sociétés, comme la Société de transport de Montréal (STM) et exo.

L’organisme a mis plusieurs années à asseoir son autorité auprès de ses partenaires. Il a essuyé des critiques acerbes de l’ancien ministre des Transports François Bonnardel, en mai 2022, pour sa priorisation déficiente des grands projets de transport collectif. La courbe d’apprentissage a été brutale, et elle n’est pas finie.

En fait, c’est seulement depuis quelques mois que l’ARTM et les sociétés de transport semblent vouloir véritablement ramer dans la même direction. Le ton et les échanges seraient plus constructifs qu’ils ne l’ont jamais été, m’ont indiqué différentes sources.

Cette collaboration a été mise à l’essai lors de la mise en service de la première antenne du REM, il y a un mois. Il y a eu des accrocs, bien sûr, et quelques bévues, mais l’ARTM et ses partenaires sont parvenus à travailler de concert. La catastrophe appréhendée par certains n’a pas eu lieu.

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Que réserve l’avenir à l’ARTM ?

Plusieurs se posent la question depuis une récente série d’article de mon collègue Tommy Chouinard. Il a révélé l’intention de Québec de créer une nouvelle agence qui chapeauterait les grands projets de transport collectif à l’échelle provinciale.

Lisez « Legault envisage de créer une agence pour le transport collectif »

Cette agence viendrait récupérer une partie des responsabilités du ministère des Transports, pour réaliser plus vite et efficacement les grands chantiers, comme la nouvelle mouture du « REM de l’Est ».

Selon l’un des scénarios à l’étude par Québec, l’ARTM conserverait la responsabilité de concevoir les premières étapes des projets montréalais. En gros : déterminer les besoins sur le terrain, puis proposer un tracé et un mode, comme un tramway ou un train léger. La réalisation des chantiers serait ensuite transférée à l’agence provinciale, qui obtiendrait des pouvoirs à l’image de ceux dont a bénéficié la Caisse pour faire le REM en mode accéléré.

L’idée serait de circonscrire avec plus de précision les responsabilités de l’ARTM, pour éviter toute confusion future quant à la portée de son mandat.

La nouvelle agence provinciale, si elle voit le jour, ne sera pas fonctionnelle avant un an, plus probablement deux, dans le meilleur des cas.

Cela risque de repousser d’autant d’années le lancement des projets de transport collectif nécessaires à Montréal et ailleurs au Québec. Mais si on peut cesser de perdre du temps en confusion bureaucratique et en déchirage de chemise, le jeu pourrait en valoir la chandelle.