Sous forte pression en raison de la vétusté et de la lenteur du développement de son système de paiement, l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) présentera ce jeudi à ses administrateurs un plan de 162 millions qui devrait permettre aux usagers d’entrer dans la modernité d’ici quatre ans, en 2027.

Un document de travail qui doit être présenté ce jeudi à huis clos au conseil d’administration de l’Autorité, que La Presse a obtenu de diverses sources, donne une bonne idée des investissements qui seront requis pour le « projet numérique de mobilité » de l’ARTM. Ce dernier unifierait essentiellement différents services de transport et permettrait à terme de payer avec un téléphone ou une carte de crédit.

Au total, ce vaste chantier atteindrait plus de 144 millions, avec un budget pour les imprévus de 18,5 millions, pour un total de 162 millions. L’organisme évalue toutefois que ces investissements rapporteraient près de 364 millions en retombées d’ici 2035, en plus de faire exploser le nombre de déplacements.

Dans sa présentation, l’Autorité rappelle que le virage numérique doit se faire en quatre grandes étapes. La première – on y est déjà – consiste en un seul mode, soit la carte OPUS, avec un système de recharge mobile qu’on veut ajouter d’ici le début de 2024. Puis, dans le courant de 2025 ou 2026, le virage se poursuivrait avec l’ajout du paiement par carte bancaire et l’achat en ligne de billets ensuite validés avec le téléphone de l’usager.

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L’idée de réunir tous les services de mobilité par l’entremise d’un seul « compte client » avait été formulée dès 2018.

C’est d’ici 2027 qu’ultimement, un système « multi-modes » serait déployé, possiblement au moyen d’une application mobile réunissant le métro, le bus, le REM, l’autopartage, le vélo-partage, le taxi, le covoiturage ou encore les trottinettes électriques. Des systèmes d’autocars pourraient aussi y être intégrés, tout comme les gestionnaires de stationnement publics et privés, voire les sociétés ferroviaires. Tout cela impliquerait fort probablement de se départir d’OPUS, un système devenu désuet en matière d’innovation technologique.

Si l’échéancier prévu est respecté, il aura donc fallu, à terme, près d’une dizaine d’années pour compléter la transition vers ce nouveau système. Mercredi, La Presse dressait le portrait du projet Céleste, un plan pour dépoussiérer le système de paiement par carte OPUS annoncé en 2018 par la Société de transport de Montréal (STM) qui a été tué dans l’œuf, ressuscité, et renvoyé dans les limbes en juin dernier.

Lisez l’article « Système de paiement et de planification : récit d’un virage raté »

Dès juin 2018, l’idée de réunir tous les services de mobilité comme le métro, les autobus, Communauto, BIXI ou Téo Taxi – par l’entremise d’un seul « compte client » – avait été évoquée par le président de la STM de l’époque, Philippe Schnobb. On projetait alors de développer en parallèle un système de paiement ouvert, par carte bancaire ou par téléphone. En octobre 2019, l’ARTM avait toutefois mis la hache dans le projet, en citant des avis juridiques défavorables, avant d’en reprendre le contrôle.

Subventionnable à 70 %

Dans la mouture qui sera présentée aux élus ce jeudi, on soutient que le gros des dépenses irait dans la « billettique », soit l’outil automatisé gérant les titres de transport qui devrait être développé pour remplacer les valideurs actuels dans le métro. Il en coûterait 74 millions de dollars, dont 12,5 millions pour les dépenses imprévues.

Une somme de plus de 20 millions serait consacrée au développement d’une « plateforme analytique de gestion des données ». On prévoit aussi dépenser 13 millions pour l’intégration et la gestion des « identités » numériques et plus de 3 millions pour mettre sur pied un réseau de télécommunication « métropolitain ».

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La facture du grand virage numérique en vue à l’ARTM s’élèverait à plus de 160 millions.

La gestion du projet, y compris son démarrage et tout le volet des communications, allongerait également la facture d’environ 16 millions. À plus court terme, tout près de 3 millions seraient nécessaires pour mettre sur pied le système de recharge mobile de la carte OPUS, appelé à être remplacé à terme par un autre type de technologie.

C’est en comptant les intérêts sur la dette à long terme et d’autres frais financiers à court terme – soit près de 32 millions – qu’on arrive à une facture totale de précisément 162,6 millions. De cette somme, l’ARTM chiffre la « subvention estimée » des différents ordres de gouvernement à 70 %, soit environ 114 millions. Lire ici : la contribution nette de l’ARTM serait donc d’un peu plus de 48 millions.

Officiellement, l’Autorité soutient qu’aucune décision n’a encore été prise. « Je peux toutefois vous dire qu’il y aura des annonces prévues au début d’octobre sur l’accélération de la phase billettique, c’est-à-dire tout le mode de paiement et le système d’arrière-guichets OPUS qui doit être refait », a néanmoins indiqué à ce sujet le porte-parole de l’ARTM, Simon Charbonneau.

Jusqu’à 364 millions de retombées

Selon les estimations actuelles de l’ARTM, un tel virage numérique représenterait approximativement 364 millions de dollars de retombées financières accumulées d’ici 2035, en grande partie en raison d’une hausse d’utilisation qui rapporterait plus de revenus. Plus largement, la simplification du mode de paiement supprimerait plusieurs barrières à l’entrée qui empêchent le bassin de navetteurs d’augmenter.

Au départ, les gains ne s’élèveraient en réalité qu’à quelques millions annuellement, mais le rythme de ces retombées s’accélérerait rapidement selon les scénarios, pour atteindre près de 30 millions de dollars par année dès 2029 et presque 60 millions à l’horizon 2035.

L’achalandage total, quantifié par le nombre de déplacements, exploserait en raison de la combinaison de nombreux modes de transport, d’après les projections. Il toucherait les 155 millions de déplacements cumulés d’ici 12 ans. Là aussi, l’impact serait graduellement en hausse, avec des bonds marqués de près de 20 millions de déplacements supplémentaires annuellement, à compter de 2030.

Une transition de cette ampleur risque toutefois d’être accompagnée de certains risques, convient l’ARTM.

Parmi les dangers identifiés, l’organisme cite entre autres la « transition » à faire avec le système de billettique du fournisseur actuel, mais aussi le délai probable pour rendre disponible une information pour les usagers qui soit « précise et complète ».

Enfin, il n’est pas exclu que des frais d’exploitation qui viendraient au moment de la livraison du projet fassent augmenter la facture finale, prévoit d’emblée l’organisme.

Pour la suite, l’ARTM prévoit pour le moment que son conseil d’administration devrait donner son feu vert à la « phase de réalisation du projet » en septembre 2023. Un plan d’affaires devra d’abord être finalisé avec les autres sociétés de transport avant d’y parvenir.

Avec la collaboration de Tristan Péloquin, La Presse