Deux ans plus tard, on voudrait nous convaincre que la mort à Montréal de la boxeuse mexicaine de 18 ans Jeanette Zacarias Zapata est le résultat d’un malheureux accident.

C’est au contraire le fruit pourri d’un système d’exploitation bien implanté qui importe des corps à faire battre dans les rings québécois pour faire « monter » nos boxeurs locaux.

Évidemment, le cadre très restreint d’une enquête de coroner, dont les conclusions viennent de nous arriver, n’était pas propice à une remise en question le moindrement sérieuse de cette industrie.

Il faudrait pourtant le faire un jour, si l’on prétend avoir à cœur la sécurité des athlètes – même mexicains !

Considérons ceci, par exemple : les boxeurs et boxeuses du Mexique représentent la majorité des « invités » sur les rings du Québec depuis 2017 – sauf pendant la pandémie.

Entre 2013 et 2023, les boxeurs mexicains ont remporté seulement 6,4 % de leurs 456 combats sur le sol québécois.

Ces données ont été compilées par Bachir Sirois-Moumni et Myriam Lavoie-Moore, deux chercheurs en sociologie du sport, qui ont analysé 1120 combats de boxe ayant eu lieu au Québec.

Comme on peut s’y attendre, les résultats de leur enquête montrent que dans la grande majorité des cas, les promoteurs invitent des boxeurs étrangers qui ne représentent pas une menace pour leur protégé. Ils sont là pour fabriquer des « fiches parfaites ».

Depuis 2013, seulement 9 % de tous les boxeurs invités de différents pays ont remporté leur combat au Québec. Des « jambons » de plusieurs pays, de commodes faire-valoir. Mais jamais autant que ceux du Mexique, devenu une sorte d’Olymel athlétique : une usine à jambons de boxe.

Le coroner Jacques Ramsay s’en tient à son rôle : une analyse médico-légale des causes et circonstances de la mort de Zacarias Zapata. Il se garde bien de tenir qui que ce soit responsable de cette mort par hémorragie cérébrale. Il recommande de meilleurs examens avant l’autorisation de se battre. Fort bien.

Bien évidemment, cette mort tragique d’une adolescente n’a pas fait l’affaire du promoteur Yvon Michel.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Le promoteur Yvon Michel

Mais puisque cette boxeuse venait ici pour affronter « sa » boxeuse, n’a-t-il donc aucune responsabilité ? Cette boxeuse de 18 ans avait été « knockée » 15 semaines plus tôt. Elle avait été deux ans sans faire de combats. Elle était mal entraînée.

Quand on sait que 62 % des défaites de boxeurs ou boxeuses du Mexique au Québec l’ont été par K.-O., une seule conclusion logique s’impose : ces athlètes sont payés pour venir se faire faire des commotions cérébrales.

Tout ça dans la plus parfaite légalité, cela va de soi, et avec le sceau d’approbation de la Régie des alcools, des courses, des jeux (et des ratons laveurs aussi, je crois).

« Le rapport du coroner obscurcit le contexte économique, politique et culturel de cette mort, dit Sirois-Moumni. Ce serait dangereux d’après moi de ranger ça comme affaire classée, de conclure que la boxe n’a aucun problème au Québec. »

Tout se passe comme si la responsabilité était essentiellement du côté des Mexicains, et de la victime en premier lieu : a-t-elle été bien prudente ? A-t-elle été transparente sur son véritable état de santé ?

C’est un peu comme si Yvon Michel était lui-même une victime dans cette tragédie. Cette mort est pourtant le sous-produit de son industrie.

Vrai, les morts sont très rares. Mais isoler cette mort comme une sorte d’aberration statistique, un accident triste mais imprévisible, c’est aussi camoufler les effets de ce système sur des centaines d’autres athlètes étrangers venus se faire planter ici pour quelques centaines ou milliers de dollars.

Cette mort n’est pas un « incident isolé ». C’est la partie visible de ce système qui profite des inégalités. Un système qui fait peser presque tout le risque de la boxe sur des athlètes mexicains ou d’autres pays. Pour mieux ignorer cette exploitation, les défenseurs de l’industrie font valoir au contraire que la boxe est un outil de promotion sociale, utile pour faire sortir de la pauvreté des athlètes. Mais c’est la partie sombre du système qui sert à jeter la lumière sur ces gagnants.

Sirois-Moumni précise qu’il n’est pas contre la boxe : « Je suis solidaire avec les boxeurs, mais voir comment sont organisés les combats, ça me fait craindre pour leur sécurité. Ils sont placés dans un régime d’inégalité. »

Comme peu d’entre eux meurent sur le ring, ils retournent perdre ailleurs. On n’a pas en pleine face tous les sous-produits de l’industrie de la commotion cérébrale : démence précoce, problèmes neurologiques, etc.

Ainsi, l’industrie pourra joyeusement continuer comme si de rien n’était. Il faudra seulement fournir des certificats médicaux et dire « ah » à plus de médecins, pour que survive le joli sport de la boxe.