Chaque fois qu’il est question de discrimination positive et de parité, certains fouillent dans leur grand placard de chemises à déchirer en entonnant le même refrain. « On ne corrige pas une discrimination par une autre ! Pourquoi le sexe d’un candidat passerait avant ses compétences ? »

La nouvelle séance de déchirement de chemises a eu lieu après l’adoption au congrès de Québec solidaire (QS) d’une résolution visant l’atteinte de la parité dans le caucus : en cas d’élection partielle dans la prochaine année, une mesure temporaire de discrimination positive fera en sorte que le processus d’investiture de QS sera réservé uniquement aux femmes.

Aux yeux de certains, la mesure serait aussi sexiste que le mal qu’elle prétend combattre. Pire encore, elle ouvrirait la porte à des incompétentes en jupe qui voleraient la place de candidats masculins autrement plus compétents. Un mythe tenace qui resurgit chaque fois que quelqu’un prononce le mot « quota » dans un débat sur la parité.

Ceux qui croient que « bienvenue aux dames » se traduit en politique par « bienvenue aux incompétentes » seront heureux d’apprendre que les mesures correctrices permettant d’atteindre la parité, loin d’entraîner une baisse générale de la compétence dans les cercles du pouvoir, ont plutôt l’effet inverse là où on les met en place⁠1.

« Si vous pensez qu’une femme n’est pas aussi compétente qu’un homme, arrivez en 2023 SVP », a écrit sur X l’ex-porte-parole de QS Manon Massé.

Il semble malheureusement que plusieurs peinent à y arriver, coincés dans l’ascenseur social des années 1950 qui a toujours favorisé les hommes sans que personne ne crie à la discrimination ou à l’incompétence.

Je ne suis pas particulièrement friande de mesures de discrimination positive. J’aimerais bien vivre dans une société parfaite où ces solutions imparfaites seraient inutiles. Mais force est de constater que l’on ne vit pas exactement dans ce monde idéal.

Pour atteindre la parité et l’égalité, la patience et la bonne volonté ne suffisent pas. À moins que l’on estime raisonnable d’attendre encore un siècle ou deux pour y arriver.

Je n’exagère pas… Si la tendance se maintient, il faudra attendre 169 ans pour atteindre la parité politique, selon le plus récent rapport mondial sur les inégalités femmes-hommes du Forum économique mondial.

« On ne détruira pas le patriarcat à coup de suggestions ! », a lancé avec une pointe d’humour Maïka Sondarjee, membre de QS, qui a participé à la discussion précédant le vote au congrès.

La boutade, qui a été reprise par de nombreux médias, a été lancée par Maïka Sondarjee pour clore une intervention où elle expliquait pourquoi il lui semblait important que la proposition de QS ne soit pas dénaturée par un amendement permettant à des associations locales de se soustraire à l’obligation de présenter uniquement des candidates si elles le désirent. L’histoire récente de QS montre que les tactiques non coercitives n’ont pas fonctionné, a-t-elle souligné. Aux dernières élections, elles n’ont pas permis à QS d’atteindre la parité. Rappelons qu’il n’y a que 33 % de femmes dans le caucus solidaire. Or, plusieurs études nous disent que, pour qu’un groupe ait un pouvoir d’influence au sein d’une assemblée, il faut que sa représentation soit d’au moins 40 %. D’où la nécessité de se tourner vers des propositions plus courageuses et plus ambitieuses que la simple suggestion.

Maïka Sondarjee, qui est la co-instigatrice de l’initiative Femmes expertes, lancée en 2019, est bien placée pour savoir qu’il ne suffit pas d’encourager la société à changer pour qu’advienne un réel changement. Constatant une sous-représentation des femmes citées dans les médias, elle s’est donné comme objectif avec Femmes expertes d’atteindre la parité des genres dans les médias d’ici 2025. Pourquoi ? Parce que les femmes comptent pour la moitié de la population. Si on ne les cite qu’une fois sur trois, cela a forcément des conséquences sur nos débats de société, les décisions politiques et l’attribution de fonds publics…

Dans une certaine mesure, la sous-représentation des femmes citées dans les médias est le simple miroir de leur sous-représentation dans les cercles du pouvoir. Il n’est évidemment pas question d’obliger les journalistes à atteindre la représentation paritaire dans chacun de leurs reportages ou d’obliger des expertes à donner des entrevues contre leur gré.

« On encourage, on donne de la formation aux femmes, on fait de la sensibilisation auprès des journalistes… On utilise toutes ces méthodes non coercitives. Mais la parité dans les médias, on ne l’a pas atteinte encore ! » Même si le travail de Femmes expertes a provoqué une prise de conscience, il n’a pas renversé la tendance.

« Ça va prendre plus de temps. Mais dans des élections, on a un moyen précis qui pourrait servir à aller un peu plus vite ! », constate Maïka Sondarjee, en faisait référence à la mesure adoptée par QS pour se rapprocher de la parité.

L’idée derrière de telles mesures contraignantes, ce n’est pas d’exclure les hommes, mais bien de corriger une exclusion systémique des femmes.

Dans son plaidoyer pour la parité Femmes et pouvoir : les changements nécessaires (Leméac), Pascale Navarro explique bien les mécanismes de la discrimination systémique qui font en sorte que les femmes demeurent sous-représentées en politique.

« À cause de traditions et d’une histoire dans lesquelles le pouvoir a été exercé par les hommes, le système dans lequel nous vivons s’est établi d’une manière particulière qui leur donne certains avantages (salaires plus élevés, avantage de pouvoirs de décision, autorité). En raison de ce système, les femmes ont été tenues à l’écart de divers aspects de la vie sociale. Cela ne veut pas dire que les hommes le souhaitent ni que les femmes s’en satisfont. Un système peut se transformer quand on prend les mesures pour y arriver. »

Ces mesures sont bien connues et documentées. Les simples suggestions et les bonnes intentions n’en font pas partie. Ça prend forcément des mesures musclées. Sinon, on va continuer d’attendre la parité, sans jamais l’atteindre.

1. Lisez « Égalité hommes-femmes : le tabou des quotas »