Le métier, les médias, la salle de rédaction de La Presse, et vous

L’attaque-surprise du Hamas le 7 octobre dernier a rappelé au monde l’existence de ce conflit persistant… et aux médias qu’il n’y a pas de guerre plus complexe à couvrir.

Ce qu’on nomme plus largement le conflit israélo-palestinien est, depuis longtemps, une poudrière : les tensions y sont constantes, et les heurts, jamais très loin.

La difficulté de couvrir cette région du Proche-Orient lorsque des attaques et répliques surviennent réside bien sûr dans la complexité d’un conflit historique, mais aussi dans la polarisation qu’elle provoque dans la population : il faut être du bord des agresseurs ou du bord des victimes, c’est l’un ou l’autre… et le bord qu’on choisit décide qui, dans l’histoire, est jugé agresseurs et victimes.

La complexité de la couverture pour les médias grand public est là, justement : ils ne doivent privilégier aucune des parties, et ne doivent pas même donner l’impression d’en privilégier une.

Chaque mot employé pour décrire les tensions et conflits se transforme ainsi en mine prête à sauter à la moindre interprétation négative.

Prenez les attaquants du 7 octobre. Étaient-ils des terroristes ? Des militants ? Des combattants du Hamas ?

Étaient-ils au service d’un mouvement qui représente les Palestiniens ? D’un groupe de résistance ? Ou d’une organisation, encore une fois, terroriste ?

Le caractère délicat de la chose s’est manifesté partout dans les médias ces dernières semaines. Car le choix des mots est rapidement interprété comme un choix fait pour un camp ou pour l’autre.

Le New York Times, par exemple, a qualifié les attaquants de « terroristes du Hamas » dans un texte au début des hostilités. Puis le mot a été biffé et remplacé dans le même article par « tireurs du Hamas »… pour ensuite que lui soit accolé l’adjectif « terroristes ».

Alors qu’à Radio-Canada-CBC, a contrario, on a publié un mémo aux journalistes pour leur demander d’éviter de désigner des groupes spécifiques comme terroristes, ou des actes spécifiques comme terroristes, « parce que ces mots sont tellement chargés de sens, de politique et d’émotion ».

Que doit faire un média dans ce cas ? À notre avis, il doit être impartial et prendre parti pour le lecteur, non pas pour un côté ou l’autre des belligérants et de leurs partisans.

Un média qui dépeint les horreurs des dernières semaines en choisissant son camp dessert ses lecteurs : il leur donne un point de vue unique et partial de l’histoire.

Un média qui refuse d’utiliser certains mots pour éviter de donner l’impression qu’il a choisi son camp dessert, lui aussi, ses lecteurs : il ne reflète pas toute l’histoire.

Le choix de qualifier le Hamas, ses membres ou leurs gestes de terroristes en est un bon exemple, puisque c’est la position officielle de nombreux pays, parce que des intervenants l’utilisent en entrevue pour parler du Hamas et parce que plusieurs considèrent que l’attaque du 7 octobre visait à multiplier les actes violents pour créer un climat d’insécurité.

À La Presse, nous ne qualifions pas systématiquement le Hamas d’organisation terroriste dans nos articles, mais nous mentionnons de façon régulière que de nombreux pays, dont le Canada, considèrent que c’en est une.

Le mot peut être utilisé dans une citation d’une personne qui le décrit ainsi ou, si le contexte le justifie, dans une chronique, par exemple.

Et l’adjectif « terroriste » peut être employé pour qualifier l’attaque lancée par le Hamas aux dépens des communautés israéliennes autour de Gaza, sans que ce soit une prise de position pour ou contre qui que ce soit.

Les médias doivent être neutres par rapport au conflit, mais ils doivent aussi utiliser les mots justes pour décrire un massacre.

Il s’agit là d’un seul exemple de mot chargé parmi bien d’autres. Chaque jour depuis le déclenchement des hostilités, de nombreuses personnes nous reprochent un mot ici, un mot là, une inexactitude ou une tournure de phrase. Il y a même des campagnes organisées par d’influents groupes pour inciter les citoyens à écrire chaque jour aux médias pour exiger des changements de mots.

Et chaque fois, ces commentaires nous amènent à réfléchir, et nous mettons alors le lecteur au cœur de notre décision. Nous visons d’abord l’exactitude, la rigueur, la vérité, mais nous tenons compte également de la nécessité pour le lecteur de comprendre l’histoire, d’en saisir toutes les nuances et les subtilités, et ce, même si les mots publiés peuvent parfois choquer.

De la même manière, nous visons à offrir une diversité d’opinions dans les textes publiés par nos chroniqueurs et nos collaborateurs, et dans les lettres ouvertes. En étant toujours disposés à remettre en question notre couverture.

On nous a par exemple reproché ces derniers jours de propager des discours haineux, en citant des représentants israéliens qui soutenaient « que le Hamas doit être annihilé », ou encore, que « l’objectif du Hamas est d’exterminer tous [les Israéliens], sans distinction ».

Il n’y a à notre avis aucune incitation à la haine dans ces citations : simplement un discours, bien réel, qui s’exprime du côté israélien. Un discours qui peut choquer, certes, mais qui permet de comprendre la haine qui alimente un conflit qui se prolonge depuis longtemps.

Mais nous avons aussi accepté de réécrire la phrase d’un texte qui manquait de clarté, comme on nous l’a reproché. Nous écrivions que la construction des tunnels à Gaza avait commencé « avant qu’Israël cesse son occupation en 2005 », alors que la bande est toujours sous le contrôle effectif d’Israël. Il y a simplement eu un retrait des troupes israéliennes et des colonies de la bande de Gaza à l’époque.

Dont acte, nous avons modifié le passage, encore une fois pour que le lecteur comprenne, de la manière la plus précise et exacte possible, le contexte de l’attaque qui a ramené ce conflit sous les projecteurs médiatiques.