(Montréal) Moayed Salim s’attendait à ce que son père rentre au Canada à la fin du mois, à temps pour la naissance de son fils. Au lieu de cela, le père du résident de London, en Ontario, est coincé à Gaza. Il n’y a aucun moyen de savoir s’il est vivant ou mort, en raison d’une panne de téléphone et de l’internet.

« C’est dévastateur, c’est difficile de se concentrer sur quoi que ce soit, a déclaré M. Salim, dans une entrevue, samedi. Ma femme est sur le point d’accoucher, toute sa famille est à Gaza, donc vous pouvez imaginer la quantité d’émotions, la douleur, la confusion. »

Israël a lancé samedi une opération terrestre élargie dans l’enclave, tandis que l’intensification des bombardements a mis hors service les services de télécommunications pour la plupart des 2,3 millions d’habitants de la bande de Gaza et créé un quasi-black-out de l’information dans la région.

Le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a prononcé un discours à la nation samedi soir, affirmant que ces dernières actions marquaient une nouvelle phase dans la guerre du pays contre le Hamas, l’organe directeur de Gaza qui était à l’origine d’une brutale incursion en Israël le 7 octobre, qui a fait plus de 1400 morts. Au moins 200 personnes ont depuis été prises en otages.

M. Salim, qui a grandi au Canada et dont le père est citoyen canadien, a avoué que ses proches ont accepté le fait que nulle part à Gaza n’est sûr.

« Mon père, comme la famille de ma femme, a accepté la réalité qu’il y a de très fortes chances qu’aucun d’entre eux ne s’en sorte. Ils ont essayé de nous réconforter, alors que c’est nous qui devrions les réconforter », a-t-il déclaré.

M. Salim a ajouté qu’il se sentait coupable de manger et de boire de l’eau, sachant que les approvisionnements essentiels sont limités à Gaza.

« Ils peuvent peut-être trouver une boulangerie ouverte pour tout un quartier et ensuite, cette boulangerie sera bombardée, a-t-il déploré. Si Israël veut éliminer le Hamas, d’accord. Mais empêcher les civils d’avoir une miche de pain, je ne comprends pas comment cela va lui permettre d’atteindre son objectif. »

Escalade de violence

Mansour Shouman, qui a vécu au Canada pendant plus d’une décennie et qui est devenu citoyen en 2006 avant de déménager à Gaza il y a trois ans, a été témoin des signes d’une escalade de l’offensive militaire israélienne. Selon lui, il semble que davantage de bombes tombent et frappent sans avertissement.

« J’ai l’impression qu’ils ne font aucune discrimination », a-t-il mentionné à propos des Forces de défense israéliennes, une allégation que l’armée du pays a toujours niée.

« Les blessés que je vois, ceux qui sont tués, tous ces gens sont pour la plupart, à 70 %, des femmes et des enfants », a-t-il décrit samedi dans une entrevue depuis le sud de Gaza.

Il a expliqué que sa famille se réfugiait dans un appartement avec huit autres familles lorsque la zone a été bombardée, détruisant plusieurs bâtiments. Lui et ses proches s’en sont sortis avec seulement des blessures légères.

Sa femme a perdu des membres de sa famille, a-t-il précisé, tandis que d’autres sont injoignables et leur statut est inconnu.

Même dans le sud, où Israël a encouragé les Palestiniens à fuir, M. Shouman a déclaré que la situation était désastreuse en raison du nombre de réfugiés.

« Il y a un manque de nourriture, un manque d’eau, un manque de carburant », a-t-il déploré, ajoutant que beaucoup ont fui leurs maisons avec peu de vêtements et ne seraient peut-être pas parés pour l’hiver à venir.

Il souhaiterait un cessez-le-feu qui permettrait aux blessés d’accéder à des soins médicaux en dehors du territoire et permettrait l’acheminement de nourriture, d’eau et de carburant.

Nouvelle phase

Dans son discours télévisé, M. Netanyahou a prévenu que la guerre était entrée dans une nouvelle phase, alors que les forces terrestres entrent à Gaza dans un contexte d’attaques terrestres, aériennes et maritimes accrues.

« Il s’agit de la deuxième étape de la guerre, dont les objectifs sont clairs : détruire les capacités militaires et gouvernementales du Hamas et ramener les otages chez eux », a-t-il lancé.

L’armée israélienne a publié samedi des images montrant des colonnes de véhicules blindés se déplaçant lentement vers la bande de Gaza, la plupart apparemment proches de la frontière, et a soutenu que des avions de combat avaient bombardé des dizaines de tunnels et d’abris souterrains du Hamas.

Cette escalade a accru la pression sur le gouvernement israélien pour obtenir la libération des otages, craignant qu’ils ne soient détenus dans la clandestinité.

M. Netanyahou a affirmé lors de la conférence de presse qu’Israël était déterminé à ramener tous les otages, et a affirmé que l’expansion des opérations terrestres « nous aidera dans cette mission ».

Manifestations

Pendant ce temps, à Toronto, des milliers de manifestants se sont rassemblés sur la place Nathan Phillips, au centre-ville, agitant des drapeaux palestiniens et appelant à un cessez-le-feu à Gaza.

Waqas Ali s’est joint à la manifestation pour montrer sa solidarité avec le peuple palestinien après que le gouvernement canadien se soit abstenu de voter une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée vendredi.

Il a appelé à une « trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue » dans la région, mais n’a pas mentionné le Hamas, ses attaques ou ses tactiques.

Une manifestation similaire a eu lieu samedi après-midi dans les rues de Montréal.

Bob Rae, l’envoyé permanent du Canada à l’ONU, a présenté un amendement qui « rejette et condamne sans équivoque » les attaques, tout en exigeant la libération « immédiate et inconditionnelle » de tous les otages. L’amendement a finalement été rejeté et le Canada s’est abstenu de voter sur le libellé final de la résolution.

« Il y a des enfants, des bébés qui sont tués là-bas, a lâché M. Ali. S’il s’agissait d’un de nos propres enfants, nous ne nous serions pas abstenus, mais nous l’avons totalement fait. C’est donc honteux. »

Le bilan palestinien des morts à Gaza s’est élevé samedi à un peu plus de 7700 personnes au cours des trois semaines écoulées depuis le début de la guerre, avec 377 décès signalés depuis vendredi soir, selon le ministère de la Santé de Gaza. La majorité des personnes tuées étaient des femmes et des mineurs, a indiqué le ministère.

Pour M. Salim, le peuple palestinien fait face à une punition collective pour le « crime » de vivre sous le régime du Hamas.

« Le gouvernement canadien considère le Hamas comme une organisation terroriste, ce qui est une bonne chose, a-t-il souligné. Mais qu’il n’oublie pas qu’il y a deux millions de civils qui vivent à Gaza et que le Hamas ne les représente pas. »

Avec des informations de l’Associated Press et de Maan Alhmidi, La Presse Canadienne, à Toronto.