Depuis le 7 octobre, au moins 24 journalistes ont été tués dans la foulée des attentats terroristes du Hamas et de la contre-offensive israélienne dans la bande de Gaza et à la frontière libanaise. Vingt Palestiniens, trois Israéliens et un Libanais.

Bilan normal en temps de guerre ? Pas vraiment. À titre comparatif, huit journalistes ont été tués au cours des six premiers mois de la guerre en Ukraine, selon Reporters sans frontières (RSF).

Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), qui documente les atteintes aux droits des journalistes aux quatre coins du monde, parle même d’une « situation sans précédent » en Israël et dans les territoires palestiniens, où les journalistes marchent depuis longtemps sur la corde raide. « Les dix premiers jours [de la guerre] ont été les plus meurtriers pour les journalistes [dans la région] depuis que nous avons commencé à faire rapport en 1992 », note Gypsy Guillen Kaiser, directrice des communications et de la sensibilisation au CPJ.

Et parce que les journalistes sont toujours les canaris dans la mine, il y a lieu de prêter l’oreille aux doléances des organisations internationales qui s’inquiètent de leur sort.

Derrière les chiffres, il y a des noms et des visages.

Ayelet Arnin, 22 ans, et Shai Regev, 25 ans, ont été tuées le 7 octobre alors qu’elles couvraient en Israël le festival de musique Supernova, où la folie meurtrière du Hamas a fait plus de 260 victimes. Le même jour, le photographe israélien Yaniz Zohar, sa femme et ses deux filles ont aussi été assassinés par les hommes armés du Hamas dans le kibboutz de Nahal Oz, dans le sud d’Israël.

Toujours le 7 octobre, le photojournaliste Mohammad Al-Sahli, le journaliste Mohammad Jarghoun et le photographe Ibrahim Mohammad Lafi – tous trois palestiniens – ont été abattus dans la bande de Gaza, selon CPJ.

Deux jours plus tard, trois journalistes palestiniens sont morts quand des frappes aériennes israéliennes ont détruit un édifice abritant plusieurs médias dans le district de Rimal, dans l’ouest de la bande de Gaza. Ce jour-là, le site de nouvelles Al-Khamsa a perdu son rédacteur en chef, Saeed al-Taweel. Mohamed Sobh et Hisham Alnwajha, de l’agence de presse Khabar, ont aussi perdu la vie.

Et ce n’était que le début. La liste s’allonge depuis.

Même en temps de paix relative, les journalistes palestiniens qui travaillent à Gaza jouent un rôle crucial en rapportant les faits à leurs propres communautés, mais aussi en étant des témoins pour les grandes organisations journalistiques internationales.

Gypsy Guillen Kaiser, directrice des communications et de la sensibilisation au Comité pour la protection des journalistes

« Ils paient le prix le plus élevé et représentent la majorité de ceux qui ont été tués », ajoute Mme Kaiser, rappelant à toutes les parties au conflit que l’utilisation de la force contre des journalistes – « des civils qui font leur travail » – est proscrite. En temps de guerre comme en temps de paix.

Les bombes, les balles et les explosions ne sont pas les seuls dangers auxquels font face les journalistes au Proche-Orient. Harcèlement, censure et autocensure sont des phénomènes qui suscitent l’inquiétude des deux côtés du conflit. Avant même la flambée de violence, Reporters sans frontières dénonçait les pressions que subissent les journalistes palestiniens, autant de la part du Hamas et du Fatah, les deux organisations politiques qui dirigent les territoires palestiniens, que de la part des forces israéliennes.

En Israël, où des règles de censure militaire sont en vigueur depuis des années, les journalistes doivent – en principe – demander l’autorisation avant de publier certaines informations liées aux questions de sécurité nationale.

Plusieurs organisations s’inquiètent aussi des tentatives de l’actuel gouvernement israélien – le plus à droite de l’histoire de l’État hébreu – pour encadrer la liberté de la presse.

Vendredi dernier, le ministre israélien des Communications, Shlomo Karhi, a fait adopter de nouvelles règles lui permettant d’interdire temporairement la diffusion de chaînes étrangères dans le pays s’il juge qu’elles portent atteinte à la sécurité nationale. Il n’a pas caché que sa principale cible est Al Jazeera, la chaîne financée par le Qatar, proche du Hamas. « Est-ce que ça va s’arrêter là ? », demandait mardi le journaliste Jon Allsop dans la Columbia Journalism Review, la publication de l’école de journalisme la plus réputée des États-Unis.

Même loin de la ligne de front, dans les salles de rédaction du monde occidental, les défis pour couvrir le conflit avec justesse sont nombreux. Il faut éviter les pièges de la désinformation, abondante sur les réseaux sociaux, et il est également essentiel de mettre en lumière l’actualité brûlante avec nuances et contexte.

C’est un exercice d’équilibrisme quotidien, qui serait impossible sans le remarquable travail de reportage et de vérification que font les journalistes sur le terrain à Gaza, en Cisjordanie, au Liban et en Israël. Trop souvent, en essayant de faire fi de la peur qu’ils ont au ventre.