Combien faut-il accueillir d’immigrants au Québec ? En voulez-vous 50 000 ? 60 000 ? 80 000 ? 400 000 ? Qui dit mieux ?

Les débats sur les seuils d’immigration ressemblent à un encan où les prix sont fixés de façon aléatoire.

Le gouvernement Legault invoque sans cesse la notion de « capacité d’accueil » qui permettrait de déterminer le seuil optimal d’immigration. Il a promis, dans la foulée de la consultation publique qui s’est terminée la semaine dernière, d’en arriver à une « décision éclairée » sur le sujet d’ici un mois.

L’ennui, c’est que la notion de « capacité d’accueil » sur laquelle doit reposer cette décision éclairée n’a aucune assise scientifique, souligne le démographe Victor Piché, qui a soumis un mémoire lors de la consultation. Il s’agit en fait d’une vieille notion qui a été abandonnée à la fin des années 1980 au Québec. À l’époque, le ministère québécois de l’Immigration avait tenté de justifier ses seuils d’immigration en s’appuyant sur une capacité d’accueil qu’il entendait mesurer « scientifiquement » par des modèles démo-économiques très sophistiqués qui pourraient nous dire quel serait le seuil d’immigration optimal. Ce fut un échec, explique le professeur honoraire de l’Université de Montréal.

« Ces modèles arrivaient toujours à des résultats “indéterminés”, comme on dit en langage statistique. Ils n’arrivaient pas à trouver un seuil optimal. »

Plus de 30 ans plus tard, on n’a toujours pas trouvé ce fameux seuil optimal. Et la notion de « capacité d’accueil » qui ressurgit au cœur du débat sur l’immigration demeure toujours aussi mystérieuse.

Pour Québec, qui propose de mieux la « documenter », on comprend que cela fait essentiellement référence à la capacité de franciser les nouveaux arrivants, de les loger et d’offrir les services nécessaires à leur intégration.

Mais pour l’heure, lorsqu’on parle de capacité d’accueil, c’est le plus souvent pour justifier une certaine incapacité d’accueil. Loin d’être un indicateur fiable reposant sur des données probantes, c’est d’abord et avant tout un concept politique très utile.

La chose a été décriée en consultation publique tant par le Conseil du patronat du Québec (CPQ) que par Amnistie internationale.

La « capacité d’accueil » est un concept préoccupant sans fondement scientifique « plus souvent évoqué par ceux qui veulent limiter l’immigration », lit-on dans le mémoire du CPQ, qui propose de nous interroger plutôt sur les mesures à prendre pour accueillir les personnes immigrantes.

Le discours entourant cette notion « nébuleuse » laisse entendre que la société a presque atteint sa capacité maximale d’accueil, « ce qui alimente un sentiment d’inquiétude dans la population, et contribue à un débat toxique fondé sur la peur de la venue et de l’installation des personnes migrantes et immigrantes », observe pour sa part Amnistie internationale, qui recommande du même coup à Québec d’investir dans l’accueil.

N’est-ce pas contradictoire de demander au gouvernement d’accroître sa « capacité d’accueil » (en construisant des logements et en investissant dans les services sociaux, par exemple) tout en lui demandant de ne pas s’y référer pour éviter d’alimenter des discours de peur ?

Très concrètement, quand des immigrants viennent s’établir au Québec et réalisent, en pleine crise du logement, que c’est impossible de se loger, n’est-ce pas aussi un enjeu de « capacité d’accueil » et de droit à la dignité à considérer ?

Ces questions, soulevées respectivement par la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, ainsi que par le député libéral Monsef Derraji, après la présentation d’Amnistie internationale, donnent l’impression que l’on discute ici de choses distinctes, incluses pêle-mêle dans le débat fourre-tout sur la « capacité d’accueil ».

Aux conditions matérielles nécessaires à l’accueil – obtenir un statut ou un logement –, on mêle des considérations identitaires et des problèmes de longue date (logements, garderies, services publics) qui n’ont rien à voir avec l’immigration. Tous ces enjeux sont bien réels. Il ne s’agit pas de le nier ou de dire qu’il ne faudrait pas en discuter.

Le hic, c’est qu’en les amalgamant dans le concept de « capacité d’accueil », on crée une opposition factice entre les besoins des nouveaux arrivants et ceux de l’ensemble des citoyens québécois, comme si les droits des uns étaient en concurrence avec ceux des autres.

« Dans le débat actuel, on semble oublier que l’immigration, en soi, ne va pas régler les problèmes si on n’investit pas dans les infrastructures, alors que l’on est en mesure de le faire », observe la professeure Mireille Paquet, titulaire de la Chaire de recherche sur la politique de l’immigration de l’Université Concordia.

Ce que l’on semble oublier aussi dans un débat qui tend à présenter l’immigrant soit comme un problème, soit comme une solution, c’est que l’immigration n’est pas une affaire de seuils, de chiffres et de développement économique. C’est d’abord l’aventure humaine de gens en quête de paix, de dignité et d’une vie meilleure pour eux et pour leurs enfants.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le démographe Victor Piché

Au lieu de craindre pour notre « capacité d’accueil », on a tout à gagner à plutôt miser sur la « volonté d’accueil », suggère Victor Piché. « En augmentant notre volonté d’accueil, on augmente notre capacité d’accueil. »

Car si la « capacité d’accueil » demeure une notion mystérieuse, difficile à chiffrer, on sait en revanche qu’elle est à géométrie variable.

Lorsque la question des demandeurs d’asile du chemin Roxham occupait l’actualité, les élus ont beaucoup discuté de notre « capacité d’accueil » dépassée. Mais lorsque la décision a été prise d’accueillir, en nombre pourtant beaucoup plus important, des Ukrainiens après l’invasion russe, il n’en a nullement été question, rappelle Amnistie internationale dans son mémoire. Ce qui montre bien que la « capacité d’accueil » est en réalité une question de volonté politique et sociétale. Quand on veut, on peut et on investit dans les ressources nécessaires pour accueillir les gens dignement.

Consultez les mémoires déposés lors de la consultation publique La planification de l’immigration au Québec pour la période 2024-2027