(Québec) L’arrivée « massive » de jeunes issus de l’immigration et la multiplication des classes d’accueil créent des maux de tête dans le réseau scolaire, frappé de plein fouet par la pénurie d’enseignants. Au centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), le nombre de postes de profs à pourvoir repart à la hausse. Sous pression, des directions d’école s’interrogent face aux priorités de Québec, qui leur demande ces jours-ci de dénombrer les toilettes et vestiaires « mixtes » alors que d’autres enjeux sont pour eux plus criants.

Depuis le début de l’année scolaire, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, suit attentivement le nombre de postes d’enseignants à pourvoir dans les écoles. Aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre qui s’aggrave chaque année, il songe à écourter le baccalauréat en enseignement, à ajouter des mesures incitatives pour retenir des profs aux portes de la retraite ou à mieux soutenir ceux qui commencent leur carrière, nombreux à déserter la profession.

Or, pendant ce temps, le plus récent bilan des enseignants recherchés dans le réseau permet de constater que la situation a cessé de s’améliorer depuis le retour en classe au CSSDM, le plus important centre de services scolaire du Québec. Quelques jours après la rentrée, dans la semaine du 4 septembre, 157 postes d’enseignants n’avaient toujours pas trouvé preneur. Cette statistique, qui a baissé à 127 et 114 les semaines suivantes, est remontée à 155 postes non pourvus dans la semaine du 25 septembre.

« À tout moment, des enseignantes nous quittent pour aller en congé de maternité. Certaines doivent être remplacées [pour plusieurs raisons], c’est normal, mais c’est surtout l’arrivée massive de jeunes issus de l’immigration qui nous force [ces dernières semaines] à ouvrir un nombre important de classes d’accueil », explique Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES).

Le CSSDM le confirme. La semaine dernière seulement, elle a ouvert 29 groupes d’accueil dans ses écoles. « Imaginez la pression », dit Mme Legault.

« Cela se traduit par le besoin d’embaucher rapidement l’équivalent de 38 nouveaux enseignants et spécialistes. Avec 470 élèves de plus en classe d’accueil qu’à la rentrée scolaire, le nombre d’élèves à accueillir en classe de francisation ne s’essouffle pas », témoigne le centre de services scolaire.

Pendant ce temps, aux toilettes

Les enfants dont le groupe n’a pas encore de titulaire de classe n’attendent pas en se tournant les pouces. Ces élèves sont pris en charge par des suppléants et par d’autres profs qui se répartissent la tâche. Or, ces solutions temporaires accentuent la pression sur le personnel, rappelle Mme Legault, qui s’inquiète pour son personnel.

Dans ce contexte, une récente directive du ministère de l’Éducation, qui demande aux écoles de dénombrer les toilettes et vestiaires « mixtes », surprend le réseau. Plusieurs se disent que « ce n’est pas sérieux », explique la présidente de l’AMDES. Plus tôt ce mois-ci, face à une décision controversée d’une école de l’Abitibi, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a interdit aux écoles de convertir des blocs sanitaires en toilettes universelles.

« Ça crée énormément de réactions. On manque de monde, on a du personnel non qualifié, certaines écoles n’ont pas de concierge, énumère Mme Legault, et il faut remplir un rapport [sur les toilettes mixtes pour le Ministère]. »

Est-ce qu’on peut arrêter de nous demander des rapports qui n’apportent rien aux services éducatifs aux élèves ?

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire

Le président de l’Association québécoise du personnel de direction des écoles (AQPDE), qui représente des établissements de la région de Québec et de la Rive-Sud, est du même avis.

« On comprend que le Ministère a besoin de données, mais d’un autre côté, nous, ce n’est pas la priorité. On a d’autres chats à fouetter », affirme Carl Ouellet.

« Ce qui se passe dans les écoles présentement, c’est qu’on cherche du monde. On se creuse la tête pour qu’il y ait des enseignants. […] La priorité, c’est d’avoir des gens dans les classes avec nos élèves pour les faire réussir », ajoute-t-il, précisant que le recrutement des enseignants stagne et que la pression est « très lourde » sur le personnel face à l’ouverture croissante de classes d’accueil.

À la mi-septembre, alors que des élèves de Joliette et de Montréal étaient déplacés de leurs classes après que des morceaux de plâtre sont tombés des plafonds, la présidente de la Fédération des comités de parents du Québec, Mélanie Laviolette, s’était aussi étonnée de l’ampleur du débat sur les toilettes mixtes.

« Quand on fait des points de presse sur des toilettes genrées ou non… Je pense que le réseau va pas mal plus mal que l’endroit où nos enfants vont à la salle de bains. Je comprends qu’on doive en parler, mais il y a des choses plus importantes que ça », avait-elle dit à La Presse.

Des enfants avec de grands besoins

Isabelle Leduc est enseignante dans une classe d’accueil du quartier Saint-Michel, à Montréal. Face au nombre croissant de nouvelles classes qui s’ajoutent semaine après semaine pour accueillir et franciser les élèves issus de l’immigration, elle souhaiterait avoir davantage accès à des ressources spécialisées pour l’épauler dans son travail.

On reçoit beaucoup d’élèves qui sont traumatisés par ce qu’ils ont vécu. Les [profs] d’accueil, nous devenons des intervenants psychosociaux en plus d’enseigner.

Isabelle Leduc, enseignante dans le quartier Saint-Michel, à Montréal

L’enseignante appelle le gouvernement à investir dans les services en psychologie et en psychoéducation, où les besoins sont criants.

À l’heure actuelle, note-t-elle, « les enfants ne reçoivent pas assez d’accompagnement par rapport à certains traumatismes. Les élèves qui arrivaient du chemin Roxham ont vécu des situations terribles, se retrouvaient dans nos classes, mais ils n’étaient pas [prêts] pour être en situation d’apprentissage ».