Québec ne tient pas compte de l’immigration temporaire quand il prévoit le nombre d’élèves qui fréquenteront les écoles de Montréal. En conséquence, le plus grand centre de services scolaire de la province s’inquiète de bientôt manquer de place dans ses écoles secondaires.

Sur papier, le ministère de l’Éducation prévoit que les écoles de Montréal connaîtront une baisse d’élèves dans les prochaines années.

Dans les faits, c’est une « sous-estimation » qui a des « conséquences importantes sur les prévisions à moyen et à long terme », note-t-on dans un document du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM).

Le principal problème : Québec base ses prévisions sur les enfants de 0 à 4 ans, explique en entrevue Mathieu Desjardins, directeur du service de l’organisation scolaire.

« [Le Ministère] va chercher les données de la Régie de l’assurance maladie du Québec, il faut qu’un enfant ait un numéro d’assurance maladie. On a beaucoup d’élèves qui arrivent et qui n’ont pas ce numéro. C’est spécifique à la région de Montréal : les demandeurs d’asile, les immigrants temporaires », explique M. Desjardins.

C’est ainsi que, l’an dernier, 2500 élèves sont passés sous le radar des prévisions.

« Cette année, ce qui m’inquiète, ce sont nos écoles secondaires », poursuit Mathieu Desjardins. La pandémie n’a pas ralenti la croissance du nombre d’élèves au CSSDM.

« On met en place des solutions auxquelles on n’avait pas pensé », dit M. Desjardins.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

L’école secondaire Saint-Henri, dans l’arrondissement du Sud-Ouest, a été annexée à une école primaire l’an dernier pour trouver une place à des élèves issus de l’immigration.

Il cite l’exemple de l’école secondaire Saint-Henri, qui s’est mise à déborder en cours d’année scolaire l’an dernier. Une école primaire vide a été convertie. « Pour accueillir de nouveaux arrivants, on l’a annexée à l’école Saint-Henri, pour ajouter une quinzaine de locaux à l’école qui était à pleine capacité », dit M. Desjardins.

Maintenant que le sujet de l’immigration temporaire est souvent dans l’espace médiatique, le CSSDM dit que le gouvernement commence à prendre la mesure de ce que cela signifie pour les écoles.

« On peut voir que l’immigration temporaire, c’est pratiquement le double de l’immigration régulière. Il faut en tenir compte : ces enfants-là fréquentent nos écoles », dit M. Desjardins.

Capacité « fonctionnelle » des écoles

Le calcul de la capacité des écoles secondaires n’est pas une mince affaire : chaque élève ne compte pas pour un.

Par exemple, illustre-t-on à la CSSDM, l’école secondaire Pierre-Dupuy, dans le Centre-Sud, a une capacité de près de 700 élèves et en accueille actuellement 360.

« On nous dit : “Vous avez de la place en masse, vous pourriez en rentrer le double” », dit Mathieu Desjardins.

Ce serait juste, explique-t-il, si chaque élève fréquentait une classe ordinaire où on peut asseoir 29 jeunes.

« Dans la réalité, ce n’est pas le cas : j’ai des classes d’accueil où il y a 14 élèves dans un groupe », illustre M. Desjardins.

Un élève en classe d’accueil compte pour 2,07 élèves d’une classe ordinaire. Des élèves avec un trouble du spectre de l’autisme sont six par classe.

En pondérant les élèves, le CSSDM calcule qu’il y en a 556.

« Ce n’est pas vrai qu’elle est à moitié vide », dit le directeur du service de l’organisation scolaire.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

L’école secondaire Édouard-Montpetit, dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, compte environ 300 élèves en trop, selon le CSSDM.

C’est aussi le cas de l’école secondaire Édouard-Montpetit, où on accueille cette année 1361 élèves. Une fois « pondérés », le CSSDM en compte 1655 et juge qu’il y a environ 300 élèves en trop.

Pourtant, on ne manque pas d’espace, dans cette école. Tout est bien pensé, dit le directeur Martin Talbot.

Pour nous le montrer, il nous guide à l’heure de la pause du matin vers la cafétéria. La cloche sonne, les élèves déferlent en une immense vague dans le corridor. Une quinzaine de minutes plus tard, il ne reste plus personne. Les jeunes sont retournés en classe presque aussi vite qu’ils en sont sortis.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le directeur de l’école secondaire Édouard-Montpetit, Martin Talbot

« On n’est pas en surpopulation. L’école n’est pas pleine, pleine », dit le directeur, tout en faisant la nuance entre la capacité « maximale » de son école et la capacité « fonctionnelle ».

Il pourrait, dit-il, ouvrir dès à présent un nouveau groupe de secondaire dit régulier, non sans faire quelques réaménagements à l’horaire.

Si [le CSSDM] m’appelle demain et me dit que je dois ouvrir une classe d’accueil, là, on aurait un problème.

Martin Talbot, directeur de l’école secondaire Édouard-Montpetit

Car lorsqu’il est question d’ouvrir des classes d’accueil ou des classes d’adaptation scolaire, on ne compte pas en nombre d’élèves, mais bien en nombre de classes.

Pour ces jeunes en situation de « vulnérabilité » qui viennent d’arriver au pays, avoir un local stable est essentiel, dit le directeur. « Peut-on les laisser dans un même local avec le prof qui leur dit bonjour le matin et au revoir le soir ? », demande-t-il.

Il a cette année à son école quatre classes d’accueil et cinq groupes d’élèves avec un trouble du spectre de l’autisme.

La croissance du nombre d’élèves au secondaire ne va pas s’arrêter dans les prochaines années, dit le directeur du service de l’organisation scolaire du CSSDM.

« On n’est pas à court de solutions, mais on se dit que si le rythme actuel se maintient pour deux ou trois ans, on va avoir des problèmes », prévient Mathieu Desjardins.