Le mariage entre deux personnes de même sexe est abordé dans une école de Montréal. Quelques élèves se tortillent sur leur chaise en écoutant leur professeur de 1re secondaire. Certains échangent des regards avec des camarades, d’autres grimacent. Puis un garçon lève la main : « Monsieur, c’est mal, ça. C’est pas bon ! »

Pour Marie Houzeau, directrice générale de l’organisme GRIS-Montréal, il n’y a pas de doute : des commentaires homophobes et transphobes circulent dans des manifestations, sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les écoles, sous le prétexte de la liberté d’expression.

« À la fin des années 1990, les propos homophobes en classe suscitaient peu de réactions. Puis les années ont passé et les jeunes qui tenaient ce genre de propos [dans les années 2000], ils se faisaient remettre à l’ordre par leurs camarades. On sentait que ce n’était plus accepté, du moins publiquement », explique Mme Houzeau.

« Mais maintenant [en 2023], on constate que l’opinion homophobe, j’insiste sur le mot “opinion”, est vue comme légitime dans certaines prises de parole. On entend : “C’est mon droit d’être homophobe” ou “C’est mon droit d’être transphobe” », poursuit la directrice générale de l’organisme. Les intervenants de la communauté LGBTQ+du GRIS-Montréal visitent des écoles du secondaire et quelques classes du primaire, à partir de la 4e année.

Garder le contrôle de la classe

Le retour de ce discours (un « recul », selon Mme Houzeau) a un impact dévastateur sur les jeunes d’aujourd’hui qui se questionnent sur leur identité, ajoute-t-elle.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Marie Houzeau, directrice générale de l’organisme GRIS-Montréal

Ce ne sont pas des questions dont on peut débattre. Ce sont des questions de droits de la personne et de protection des minorités.

Marie Houzeau, directrice générale de l’organisme GRIS-Montréal

Signe que le sujet est d’actualité, une conférence nommée « Thèmes sensibles et propos d’élève offensants : quelle posture professionnelle à adopter ? » sera d’ailleurs donnée en octobre par le service de formation continue de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

L’exemple de l’élève qui juge qu’une relation de couple entre deux femmes ou deux hommes, « c’est mal », n’est d’ailleurs pas anecdotique, selon l’enseignant d’une école secondaire publique de Montréal qui en a témoigné à La Presse. Chaque année, quand il aborde l’homosexualité dans le cadre du cours Éthique et culture religieuse, il sait que le sujet suscitera de l’opposition.

Comment garde-t-il le contrôle de sa classe ? « Il faut négocier, expliquer que l’homosexualité est dans la Charte des droits et libertés, que c’est comme ça que ça fonctionne », raconte l’enseignant qui n’est pas autorisé à prendre la parole publiquement.

Éviter l’évitement


Pour Sivane Hirsch, professeure titulaire du département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval, la clé lorsqu’un enseignant aborde un thème sensible comme l’homosexualité, le racisme ou même la COVID-19, c’est la préparation.

« Si un sujet est amené par un élève et que l’enseignant n’est pas préparé, il n’est pas obligé de le traiter sur-le-champ. Il a le droit de dire qu’il a besoin de s’informer, qu’il a besoin d’en apprendre lui-même sur le sujet avant d’y revenir », explique cette professeure qui a corédigé un document intitulé Aborder les thèmes sensibles avec les élèves à l’intention des enseignants du centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys. Surtout, il ne faut pas arrêter d’aborder les thèmes qui peuvent s’avérer déstabilisants pour les enseignants, croit Mme Hirsch. Ni éviter les sujets comme l’identité de genre, dont la place dans le programme éducatif québécois est actuellement débattue.

« L’identité de genre, selon moi, ce n’est pas un problème que ça fasse débat dans la société. Mais la vérité, c’est que ce sujet est déjà dans les écoles. Ce n’est plus une question de “est-ce qu’on est d’accord de l’aborder ou pas”. Ça fait déjà partie de la vie des élèves », affirme Mme Hirsch.

PHOTO FOURNIE PAR SIVANE HIRSCH

Sivane Hirsch, professeure titulaire du département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval

Nos élèves sont très allumés, ils sont très au courant. Même si on n’a pas envie d’aborder un sujet, on s’en fout parce que ce sont les élèves qui vont le faire.

Sivane Hirsch, professeure titulaire du département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval


Bruce Maxwell, professeur de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, croit aussi que les thèmes délicats doivent continuer à être abordés par les enseignants, mais de façon impartiale et neutre, insiste-t-il. Les élèves du primaire et du secondaire sont considérés comme un public captif, explique-t-il, et ils ne peuvent quitter une classe s’ils considèrent les propos d’un enseignant comme offensants ou erronés. Ils sont aussi plus vulnérables étant donné leur immaturité intellectuelle.

« Dans une société démocratique, l’école doit développer les compétences démocratiques. Une excellente façon de faire ça, c’est de trouver une situation où les élèves doivent se renseigner sur une question, prendre position, articuler un point de vue tout en étant exposé à des positions qui ne sont pas nécessairement compatibles avec les leurs. Cela permet d’apprendre la tolérance et l’ouverture », explique celui qui dirigera la formation sur les thèmes sensibles à l’Université de Montréal, en octobre.