La pénurie de médecins de famille fait mal partout au Québec. Elle est particulièrement douloureuse dans les Laurentides. Les urgences débordent davantage là-bas que presque partout ailleurs. Beaucoup trop de médecins prennent leur retraite hâtive, s’exilent ou font le saut au privé, laissant des milliers de patients orphelins.

Les autorités régionales peinent à attirer des médecins et à les convaincre de rester1. Elles tentent de rassurer la population : non, l’hôpital de Rivière-Rouge ne fermera pas ses portes. Mais on n’aura pas le choix de diminuer l’offre de services.

Et voilà que deux omnipraticiens français arrivent à la rescousse. Isabelle Branco et Jean-Louis Ménard se sont installés dans les Laurentides il y a cinq ans. À eux deux, ils soignent 2700 patients. En plus de sa pratique de médecin de famille, la Dre Branco travaille aux urgences de l’hôpital de Rivière-Rouge.

C’est déjà pas mal, mais le couple s’est promis d’en faire plus. Parce que trop de personnes malades sont livrées à elles-mêmes, se désole la Dre Branco.

On voit le désespoir des gens quand ils nous demandent si on voudrait bien les prendre en charge. Quand on leur dit oui, ils ont les larmes aux yeux…

La Dre Isabelle Branco, omnipraticienne

Vendredi, pourtant, Isabelle Branco et Jean-Louis Ménard ont annulé tous leurs rendez-vous, et ce, jusqu’à nouvel ordre. Samedi, la Dre Branco ne s’est pas pointée comme prévu aux urgences de l’hôpital de Rivière-Rouge.

Les deux médecins n’ont pas le choix : on les empêche de travailler !

Le 26 septembre, la Dre Branco a reçu un courriel d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) : le renouvellement de son permis de travail, tout comme celui de son conjoint, était refusé. Leur statut de résidence temporaire expirait le même jour. Ils avaient trois mois pour faire une demande de rétablissement de statut.

« Si vous ne désirez pas présenter une demande de rétablissement, vous devez quitter le Canada immédiatement sans quoi des mesures exécutoires pourraient être prises contre vous », a prévenu le ministère fédéral. Bienvenue au Canada…

Dans sa lettre, IRCC soutient qu’Isabelle Branco n’a jamais fourni de « numéro d’identification d’emploi valide » nécessaire au renouvellement de son permis de travail. La médecin affirme qu’après un léger cafouillage, le document a été téléversé à son dossier le 14 septembre, mais que la bureaucratie n’en a pas tenu compte.

« C’est la couille dans le potage, comme on dit chez nous », regrette-t-elle. Cette expression française, un brin surannée, n’a pas eu l’honneur de traverser l’Atlantique, mais sachez qu’elle s’utilise « en cas de désarroi majeur face à un obstacle incontournable2 ». Vous l’aurez appris ici.

« La grosse machine administrative ne s’est pas arrêtée, dénonce la Dre Branco. Il n’y a pas d’humanité derrière » le refus d’IRCC.

Pas d’humanité, parce que dans une région où les besoins sont criants, deux médecins se retrouvent forcés de se tourner les pouces.

Tant que cette histoire de permis de travail ne sera pas réglée, ils ne pourront soigner aucun patient. Les autres médecins seront un peu plus surchargés. Les urgences, un peu plus engorgées.

Le fils de 19 ans d’Isabelle Branco ne pourra pas travailler davantage. Sa fille de 12 ans n’aura plus le droit de fréquenter l’école. La famille ne pourra pas quitter le territoire canadien, sous peine de voir ses longues, péniblement longues procédures d’immigration tomber à l’eau.

Et puis, le comble pour deux médecins : ils ne seront plus couverts par la RAMQ…

Avec un peu de chance (et de bonne volonté), l’imbroglio se réglera bientôt. Sans pouvoir commenter ce cas spécifique, une porte-parole m’écrit qu’« IRCC traite en priorité les demandes de permis de travail des personnes qui offrent ou appuient les services essentiels, tels que les médecins généralistes et les médecins de famille ».

La députée bloquiste de Laurentides-Labelle, Marie-Hélène Gaudreau, affirme de son côté avoir fait une « demande urgente » auprès d’IRCC afin que la requête de la Dre Branco soit reconsidérée dans les plus brefs délais. Ça pourrait l’être, lui a-t-on assuré, dans les quatre jours ouvrables. À suivre, donc.

Personne n’a forcé Isabelle Branco et son conjoint à s’installer dans les Laurentides. « Pour nous, ce n’est pas une punition d’être en région, c’est notre choix de vie, explique-t-elle. Nous serions malheureux ailleurs. Nous voulons vivre en région, à la campagne, ça nous convient très bien. »

Ils ont tout quitté en France pour venir vivre au Québec. Ça tombe bien, parce qu’on a terriblement besoin d’eux. Absurdement, la bureaucratie ne trouve rien de mieux à faire que de leur mettre des bâtons dans les roues. « On veut en faire plus, dit Isabelle Branco, mais pour ça, il faut nous laisser travailler… »

1. Lisez l’article « Sainte-Agathe-des-Monts : le tiers des médecins de famille s’en va » 2. Consultez la définition de l’expression « Couille dans le potage (y avoir) » sur le site web Les mots délicieusement surannés