Une nageuse artistique de la trempe de Jacqueline Simoneau peut retenir son souffle plus de cinq minutes sous l’eau. Dans la piscine ou à la surface, la Montréalaise entretient un rapport au temps différent de celui du commun des mortels. Sans doute parce que le temps n’a aucune valeur lorsqu’on est capable de l’arrêter.

Dans les prochains mois, Simoneau se préparera à un retour à la compétition, deux ans après avoir pris sa retraite. Elle se voit déjà à Paris en train de nager à ses troisièmes Jeux olympiques.

Elle terminera aussi sa troisième année au doctorat en médecine podiatrique à l’Université du Québec à Trois-Rivières, en plus d’accompagner la délégation canadienne aux Jeux panaméricains de Santiago, au Chili, et d’effectuer du mentorat dans différentes compétitions multisports pour le compte du Comité olympique canadien (COC) et du Comité international olympique (CIO).

En attendant, la nageuse de 27 ans doit se soumettre à une batterie de tests pour s’assurer de son état physique avant son retour dans la piscine. On la retrouve donc dans les bureaux de l’Institut du sport (INS), où elle doit passer un électrocardiogramme.

Attablée et parée à discuter au café de l’INS, Simoneau représente d’une certaine façon l’athlète ultime. C’est-à-dire une sportive ayant excellé dans son sport, mais qui a déjà un plan de match pour assurer son après-carrière, tout en redonnant à la nouvelle génération. Si le mouvement olympique avait un visage, ce serait sans doute le sien.

Ce que j’ai retenu quand j’étais jeune, c’est que les olympiens sont toujours prêts à pousser pour aller plus loin, atteindre leurs objectifs et atteindre leur rêve. C’est ça que je veux faire réaliser aux jeunes.

Jacqueline Simoneau

La médecine

Le programme de doctorat en médecine podiatrique de l’UQTR est extrêmement « contingenté et chargé ». Selon les dires de Simoneau, le programme accepte seulement 25 étudiants. Après deux ans, leur cohorte n’en compte plus que 18.

Si elle veut décrocher son diplôme et ultimement pouvoir pratiquer, c’est pour pouvoir à son tour permettre à de jeunes patients de changer leur trajectoire.

Entre l’âge de 4 et 8 ans, elle a été « très malade ». À l’Hôpital de Montréal pour enfants, elle perdait ses cheveux, de la masse musculaire, elle voyait des points noirs et perdait connaissance régulièrement. Simoneau a finalement reçu un diagnostic de maladie cœliaque.

« J’avais perdu espoir dans le sport. Je n’étais pas capable de compléter une journée complète d’école, alors comment j’allais faire pour compléter une pratique de synchro ? Mais les médecins m’ont tellement bien encouragée, encadrée, rassurée que je voulais avoir ce type d’impact, un jour, sur des patients. »

Elle a donc grandi en caressant deux rêves : avoir autour du cou un stéthoscope et une médaille olympique.

Je savais que je voulais devenir médecin, mais je ne savais pas trop comment m’y prendre, quels outils utiliser, comment jumeler ça avec l’école, avec les entraînements… Je ne savais pas si c’était possible.

Jacqueline Simoneau

Mais des programmes comme Plan de match, mis sur pied après les Jeux de Londres par le COC, l’ont aidée à concilier ses deux passions. Être sur les bancs d’école ou à la clinique, « c’est un rêve, vraiment ».

Elle a vécu l’ivresse des Jeux olympiques, mais lorsqu’elle troque le maillot pour la blouse, elle se sent comme une héroïne, mais différemment. « Il faut que je me pince chaque jour pour réaliser que je fais vraiment ça. Il n’y a pas d’autre manière de le décrire. Ce qu’on apprend à l’école, ce sont des trucs que j’ai toujours voulu comprendre. »

Elle a donc alterné les cours à Trois-Rivières et les ateliers à la piscine à Montréal depuis les Jeux de Tokyo. Une charge de travail phénoménale. « Si tu es passionné, ce n’est jamais trop », précise-t-elle.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jacqueline Simoneau

Le mentorat

Du 20 octobre au 5 novembre, Simoneau s’envolera pour le Chili, avec la délégation canadienne, pour agir à titre de responsable du service aux athlètes lors des Jeux panaméricains. En somme, elle sera une mentore pour les Canadiens.

Depuis les Jeux olympiques de Tokyo, la Québécoise fait partie du comité des athlètes du COC, où elle apprend la planification et la gestion d’évènements multisports. Ce rôle l’expose à la gouvernance et au travail fait en amont par les différentes fédérations sportives. Un autre domaine pour lequel elle est passionnée.

Elle retournera donc aux Jeux panaméricains, où elle a remporté un total de quatre médailles d’or, en 2015 et en 2019. « On sera basés dans le village des athlètes. Notre but sera de créer un espace confortable pour les athlètes. On ira voir leurs matchs. On est vraiment là pour les soutenir. On peut être les références », explique-t-elle.

Les PanAms sont ce qui se rapproche le plus du contexte et de l’environnement olympiques. La différence, pour Simoneau, sera d’épauler des athlètes de plusieurs disciplines. Elle se sait capable de conseiller ses coéquipières, mais s’adapter aux besoins d’athlètes d’autres horizons représentera son défi le plus important.

« Je ne suis pas très extravertie, donc il faudra que je sorte de ma zone de confort pour aller voir les athlètes et lancer les conversations. »

Elle prend néanmoins ce rôle à cœur, vu sa signification.

Ça m’avait beaucoup aidée pendant les Jeux de Rio d’avoir un athlète mentor qui était là et qui comprenait ma situation.

Jacqueline Simoneau

Puis avec le CIO, elle brille également au sein d’un comité d’athlètes. Poste pour lequel elle a été élue. Son but étant de redonner à la prochaine génération : « Comment est-ce qu’on peut améliorer la vie des athlètes en vue des Jeux olympiques ? Est-ce qu’on peut optimiser leur processus ? Donc j’ai postulé pour voir comment on pourrait avoir un meilleur impact. »

PHOTO FRANÇOIS-XAVIER MARIT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les nageuses artistiques Jacqueline Simoneau (à droite) et Claudia Holzner aux Jeux olympiques de Tokyo, en 2021

L’analyse

Parce qu’il restait encore de minces espaces dans son agenda, Simoneau a accepté dans les derniers mois d’être analyste pour les compétitions internationales de natation artistique.

Engagée par World Aquatics, anciennement la Fédération internationale de natation (FINA), elle a enfilé le casque d’écoute pour camper le rôle d’analyste lors des Mondiaux de 2022 et de la Coupe du monde de 2023.

Avec ce poste, elle a pu découvrir son sport sous un autre angle. Et la nageuse qu’elle est redevenue pourra en tirer profit, croit-elle.

À la télé, on voit l’effet d’ensemble. Donc ça donne une perspective différente et en prévision de Paris, ça va donner une approche différente.

Jacqueline Simoneau

Son objectif était également de vulgariser toutes les complexités de son sport. Elle se voit même répéter l’expérience si un diffuseur requiert ses services. « Cent pour cent, oui. Pas à temps plein, mais je me verrais faire ça. Je sauterais sur cette occasion. »

À 27 ans, Jacqueline Simoneau devient-elle ce qu’elle a voulu ? « Entièrement. Je ne pourrais pas demander mieux. »

D’ici quelques années, elle veut pouvoir regarder derrière avec le sentiment du devoir accompli. Elle désire, entre autres choses, gagner une médaille olympique, fonder une famille et devenir médecin sans frontières.

Mais le temps lui glissera-t-il entre les doigts comme l’eau lorsqu’elle émerge des profondeurs après cinq minutes sans avoir poussé le moindre souffle ?

« On y va un jour à la fois. »

Et aujourd’hui, c’est son anniversaire. Elle soufflera ses bougies en faisant des vœux qu’elle sait réalisables. Parce qu’elle est déjà en train de les exaucer.