Dieu que je suis tanné de la bêtise religieuse qui revient à chaque époque, sous des atours différents. Quand je dis « Dieu », bien sûr, c’est un catholique culturel qui parle, je ne crois pas en Dieu, mais je l’imagine moins bête que ses ouailles.

Ce débat sur l’identité de genre, quelle bêtise. Mais une bêtise pas née de la dernière pluie, qui s’inscrit sur un long continuum.

Je n’ai pas oublié la joyeuse époque où la droite catholique qui noyautait les commissions scolaires s’opposait férocement à l’installation de distributrices de condoms dans les écoles. Je vous parle du début des années 1990, au plus fort de l’épidémie de sida.

Pour ces fervents catholiques, il était évident que la simple vue d’une distributrice de capotes allait pousser nos enfants à plonger dans les ténèbres de la promiscuité sexuelle hors des liens sacrés du mariage…

Appuyons sur la touche Rewind, retournons à 1992 pour bien planter le décor de l’époque. Lettre d’un lecteur au Devoir : « Des distributrices de condoms dans une école, ce serait comme dire “Y a rien là” face à la banalisation de la sexualité. Y a-t-il des distributrices de cigarettes dans les écoles ? »

Ces gens-là, bien sûr, s’opposaient – s’opposent toujours – à ce qu’on parle de sexualité à nos enfants, à nos adolescents.

Pourquoi ?

Réponse : la peur de la contamination.

Car il est bien connu que montrer aux jeunes comment dérouler un condom sur une banane va fatalement leur donner le goût d’organiser une orgie dans la cafétéria de l’école…

Appuyez sur la touche FFWD : c’est le même délire qu’on constate dans le débat sur l’opposition à tout ce qui touche l’école et les thèmes LGBTQ+ en 2023.

Je veux bien que des parents soient « inquiets » de ce qu’on enseigne aux enfants dans nos écoles, mais ce qu’on a constaté dans les manifestations qui ont eu lieu partout au pays mercredi ne relève pas de l’inquiétude… C’est de l’hystérie.

Je vois un lien avec la manif des camionneurs à Ottawa. Bien sûr qu’il y avait des ras-le-bol sanitaires légitimes, qui méritaient discussions et débats. Mais ces gens-là, en février 2022, à Ottawa, ont quand même répondu à l’appel d’une sinistre coalition de fascistes et d’aspirants putschistes militant ouvertement pour le renversement du gouvernement élu, à grands coups de théories du complot farfelues.

Même délire chez les organisateurs des manifestations de mercredi, version moderne des grenouilles de bénitier opposées aux condoms dans les écoles dans les années 1990. Quand je dis « version moderne », je veux dire que la Million March for Children est noyautée par des islamistes, ce coup-là.

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Manifestants pro- et anti-LGBTQ+ s’affrontant à devant le parlement d’Ottawa, mercredi

On retrouve dans les manifs anti-lecture-du-conte-par-des-drag-queens et cessez-de-convertir-nos-enfants-au-transgenrisme les mêmes illuminés qui voyaient la Dictature Mondiale dans les efforts de vaccination à grande échelle, au plus fort de la pandémie. On y retrouve les mêmes agitateurs, comme ce prof de maths déchu en similipsychose perpétuelle et cet ex-député beauceron qui représente désormais la circonscription imaginaire de Beauce-les-Marécages.

Quand on y regarde plus attentivement, ce qui dérange beaucoup ces manifestants, c’est la présence des LGBTQ+ et de leurs symboles dans l’espace public. La vieille peur de la contagion par l’exposition au Mal. Ils savent bien que les profs ne convertissent pas les écolières à la Religion non binaire…

Mais pour eux, voir le drapeau arc-en-ciel sur le drapeau de l’école de leurs enfants pose problème, c’est de l’embrigadement, c’est de la propagande, c’est de la « sexualisation » des enfants.

Logique des grenouilles de bénitier de 1993 : « Si tu montres à mon adolescent comment utiliser un condom dans un cours d’éducation sexuelle, il va avoir envie de baiser la petite voisine… »

Logique des anti-LGBTQ+ de 2023 : « Si vous dites à mon ado qu’entre les gars et les filles, il y a une minorité de personnes qui ne se sentent pas filles ou gars, mon ado va avoir envie de changer de sexe… »

Différentes époques, mêmes délires enracinés dans le religieux.

On aura beau leur dire que le cursus scolaire québécois n’est pas un festival 24/7 d’initiation à l’homosexualité ou à la conversion au transgenrisme, rien n’y fait. On fera témoigner mille profs sur la réalité de ce qui est abordé en classe, ça ne changera rien. Car la machine numérique à radicaliser des esprits fragiles qui a si bien fonctionné pendant la pandémie a recyclé ses messages en désignant tout ce qu’il y a sous le drapeau arc-en-ciel comme la nouvelle menace existentielle.

Et ça marche : des milliers de personnes se présentent un matin de semaine pour « sauver les enfants » comme hier ils voulaient « sauver la démocratie » pendant la pandémie…

Un flash de la manif de Montréal, si vous permettez. Celui d’une femme voilée qui abreuve d’insultes homophobes un type portant un drapeau arc-en-ciel…

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestants anti- et pro-LGBTQ+ s’affrontant à Montréal, mercredi

Imaginez le dilemme, ici, pour le fervent multiculturaliste canadien qui a sacralisé chaque pratique religieuse de chaque communauté…

T’es un multiculturaliste canadien qui a toujours sacralisé la pratique religieuse sous toutes ses formes. Quand une femme en burqa a voulu voter sans se dévoiler, t’as lancé des roches à ceux qui disaient qu’elle pourrait quand même, comme tout le monde, voter à visage découvert…

Pis là, dans les rues de grandes villes du pays, tu vois ceux et celles que tu as défendus contre l’intolérance manifester leur propre intolérance contre les gais en les traitant de fags et de tapettes…

Quel bord t’es censé prendre, entre la femme voilée et le type au drapeau arc-en-ciel ?

C’est toute ta conception de la tolérance qui doit en prendre pour son rhume…

Scoop : dans toutes les religions, il y a des cons. Et de tout temps, les plus intensément religieux de nos concitoyens veulent nous ramener en arrière. Même chez les musulmans, très nombreux à essayer d’exorciser du LGBTQ+ dans les rues de nos cités ces jours-ci, sous le couvert de « valeurs traditionnelles ».