Quand l’aéroport de Londres a été bloqué par la neige, juste avant Noël 2010, les administrateurs sont venus chercher la solution à Montréal.

De 2011 à 2017, Normand Boivin a été responsable des opérations à Heathrow, un des plus grands aéroports au monde. Une de ses plus grosses « opérations » a été de prévoir l’arrivée de centaines de milliers de personnes pour les Jeux olympiques de 2012.

Je l’avais rencontré en descendant de l’avion et chaque fois que je mets les pieds dans le triste aéroport de Montréal, je pense à ce qu’il m’a dit ce jour de juillet, à trois jours de la cérémonie d’ouverture.

« Un aéroport, c’est une business d’émotions », m’avait-il dit en sirotant un café – car tout avait été planifié dans les moindres détails et il n’était nullement stressé.

Comment ça, une business d’émotions ?

« Les gens sont anxieux. Leur patience est limitée. Avant même de penser à être agréable, il faut juste éviter de donner des raisons de critiquer. Personne ne vient ici pour l’aéroport. Si les gens oublient leur passage, c’est parfait. »

C’est une grande évidence, en effet, mais tout ce que les gens veulent faire en arrivant à l’aéroport, c’est d’en sortir le plus vite possible, par un bout ou l’autre.

Et c’est exactement là que l’aéroport Trudeau montre une incompétence de calibre olympique : on dirait qu’on a oublié l’évidence.

Que l’on veuille y pénétrer pour prendre l’avion ou que l’on tente de fuir les lieux après avoir atterri, à peu près tout est plus pénible, plus long, plus désagréable qu’ailleurs.

Pensez qu’on n’est pas capable de faire arriver assez d’autobus pour transporter les passagers.

Vous voulez prendre un taxi ? Ils sont là. Ils trépignent. Les clients aussi sont là, contents de dépenser 50 ou 100 $ le plus rapidement possible. Mais c’est au compte-gouttes, sur une minuscule portion de trottoir, que l’on fait arriver les voitures.

Je n’ai pas parlé de l’encombrement de la voie d’accès, qu’on a mis 10 ans à construire, ni des bagages qui ont l’air de faire eux-mêmes un voyage interminable entre l’avion et l’aérogare.

Mais pour un aéroport international de taille somme toute très moyenne, Montréal vous garantit une des pires expériences.

Il va de soi que ce n’est pas « la faute » d’Aéroports de Montréal (ADM), enfin pas uniquement.

Air Canada et d’autres compagnies aériennes n’ont pas embauché assez d’employés après la pandémie, alors que l’afflux de clients était connu.

Transports Québec s’est traîné les pieds pour aménager les routes d’accès, et ça continue.

Le gouvernement fédéral s’est délesté des aéroports il y a 30 ans et fait comme s’ils pouvaient s’autofinancer.

La Société de transport de Montréal n’est pas foutue de bien organiser le transport, et ose appeler cette ligne d’autobus « 747 » – voir le texte de mon collègue Philippe Mercure.

Sauf que le boulot d’ADM, c’est précisément de faire arriver ces choses qui ne relèvent pas d’elle. De gérer les détails.

Quand j’entends le porte-parole (même pas le président) d’ADM chez Paul Arcand dire qu’il est « choqué » de la situation, j’ai le goût de dire : comment peut-on être pris au dépourvu ? Ce n’est pas comme si cet afflux était imprévisible, soudain comme une inondation : les gens achètent leur billet longtemps à l’avance.

Et vous faites quoi, au juste, pour régler ça, à part de déplorer la situation qui est la faute des autres ? On attend le REM en croisant les doigts ? On regarde fort le calendrier en se disant : l’été est fini, l’automne sera calme ?

Quand j’ai rencontré Normand Boivin à Londres, il m’avait dit avoir convoqué personnellement trois ministres (Transports, Sécurité publique, Sports) du Cabinet britannique pour « les shaker » avant les JO.

PHOTO GEORGES ARCHER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Normand Boivin, ex-responsable des opérations à Heathrow

Il n’était pourtant qu’un étranger, numéro deux de l’aéroport. Mais il a fait passer son message.

« Je leur ai dit : qu’est-ce qu’on fait si l’espace aérien est congestionné ? On [Heathrow] est une entreprise privée, mais on rend un service éminemment public, on sert l’économie du pays. Ils ont réagi. Les politiciens ici ne sont pas différents des nôtres ! »

C’est transférable mot pour mot à la situation montréalaise. L’aéroport n’est pas seulement une « vitrine », c’est une infrastructure économique névralgique.

En ce moment, question accès, cet aéroport est peut-être, oui, le pire au monde.