Les juges sont débordés, à ce qu’il paraît. Les procureurs de l’État sont soumis à l’implacable rigueur du calendrier « Jordan ».

Mais une procureure de Shawinigan a tout de même trouvé le temps de traîner un enfant de 12 ans devant la cour criminelle pour un chamaillage.

Son crime ?

Avoir « achalé » sa demi-sœur de 11 ans en la touchant « sur différentes parties de son corps », selon les mots de la juge. Il lui a touché la main, les cuisses, le ventre, les fesses.

Ça sonne « agression sexuelle », je sais, mais il n’est nullement question de ça. La fillette n’a pas été blessée. Elle n’a pas eu mal non plus, selon son témoignage – parce que oui, mesdames et messieurs, on a fait témoigner cette enfant de 11 ans, interrogatoire, contre-interrogatoire, tout le bazar.

La demi-sœur s’était plainte à sa mère un mois et demi après les évènements. Celle-ci a alerté les autorités. Un rapport a été rédigé. Et, incroyablement, la procureure du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a jugé bon de déposer une accusation criminelle de « voies de fait simples » devant la Chambre de la jeunesse.

Théoriquement, ce n’est pas inconcevable : l’utilisation de la force contre quelqu’un sans son consentement, ça s’appelle des « voies de fait ».

Et dès 12 ans, un être humain peut faire face à la responsabilité criminelle au Canada.

La procureure avait bien lu le Code. Pour ça, on lui donne 10 sur 10.

Mais à part la qualité de la preuve et les perspectives raisonnables de condamnation, un procureur doit aussi utiliser son jugement. Se demander s’il est opportun de déposer des accusations contre une personne. C’est une obligation professionnelle.

Donc, quelque part l’an dernier, cette procureure a jugé bon de traîner devant la cour un gamin de 12 ans qui avait essentiellement « gossé » sa demi-sœur, comme diraient mes enfants – qui auraient probablement subi des mégaprocès, suivant cette grille d’analyse…

Tristement, mais sans surprise, c’est dans un contexte de séparation d’une famille reconstituée que les évènements se sont produits. Raison de plus pour prendre un pas de recul avant d’accuser un enfant. Mais non, la procureure a foncé, la tête dans le guidon, vers la ligne d’arrivée judiciaire.

De toute manière, dans quel contexte est-ce une bonne idée de tenter de criminaliser une chicane d’enfants ?

Je vais plus loin. Même pour des cas sérieux, voire graves, pour un « délinquant » de 12 ans, la voie privilégiée est la déjudiciarisation, les mesures alternatives.

Sauf que, pour y avoir accès, il faut que le contrevenant reconnaisse sa faute. Écrive une lettre d’excuses. S’engage dans un processus de réparation. Toutes de belles et bonnes choses.

Mais si le « délinquant » n’est coupable de rien d’autre que d’être un enfant, l’État n’a pas à le criminaliser pour lui extorquer un repentir.

Il y avait une seule chose à faire dans ce cas : ne pas autoriser une plainte criminelle.

Il y en avait une autre à faire chaque jour qui a suivi cette erreur grave de jugement : la retirer. Ne pas faire de procès.

Mais non, la Justice criminelle a stupidement suivi son cours (la procureure a quitté le DPCP depuis par choix).

Une erreur de jugement, ça arrive.

Ce qui me trouble, c’est que le DPCP ne considère pas que c’en est une.

On me dit que la version de la fillette n’a pas été retenue par la juge, mais qu’elle était plus sérieuse que ce que la juge en a dit.

Vraiment ?

Voici comme la juge Geneviève Marchand résume l’affaire :

« Les gestes reprochés l’ont été dans un contexte de taquinerie entre demi-frère et demi-sœur. La seule motivation de l’accusé à ce moment est de taquiner sa demi-sœur. Aucune blessure n’a été infligée à la plaignante et celle-ci n’a ressenti aucune douleur à la suite des gestes posés par l’accusé. »

Elle ajoute que les gestes étaient « tellement inoffensifs et dénués de toute violence ou intention malsaine qu’ils ne peuvent à eux seuls justifier une déclaration de culpabilité ».

Car le garçon a reconnu les gestes, mais ils sont si insignifiants que la juge a acquitté l’enfant en appliquant l’antique règle « de minimis non curat lex » : la loi ne s’intéresse pas aux choses sans importance.

Alexandre Biron est avocat à Trois-Rivières, associé de Yan Primeau, l’avocat du garçon. Il dénonce la rigidité du ministère public, parce qu’elle se manifeste aussi dans d’autres dossiers.

« On reproche aux avocats de la défense d’être responsables de délais et d’abuser des contre-interrogatoires des victimes, et parfois avec raison. Mais dans ce cas-ci, le DPCP a forcé cette petite fille de 11 ans à témoigner. »

Un cas où, au final, l’État a fabriqué deux victimes : ce garçon, qui ne méritait pas ça, et sa demi-sœur, qui n’avait pas à subir l’hypervigilance judiciaire du DPCP.

Si ce n’était pas une erreur, un excès de zèle ou un manque de jugement, est-ce à dire qu’on fera d’autres procès du genre ?

Avis aux lanceurs de coussins dans les sous-sols, aux pousseurs de frères et aux tireurs de cheveux : la Justice vous a à l’œil !