L’homme est arrêté près de chez son « ex » pour harcèlement criminel.

Les policiers de la Sûreté du Québec le libèrent rapidement contre une simple promesse de comparaître. Ianik Lamontagne n’avait pas de casier judiciaire, pas d’antécédents de violence, a expliqué la police.

Deux jours plus tard, il tue ses enfants de 3 ans et se suicide.

On ne peut pas prévoir toutes les horreurs, c’est entendu. Mon but ici n’est pas de dire que « cette tragédie aurait pu être évitée » ce jour précis, ni que les policiers ont mal fait leur travail.

Mais cette affaire nous oblige à au moins poser la question. N’y avait-il vraiment « aucun signe avant-coureur » ? Est-ce que l’évaluation du risque a été bien faite ?

On apprenait lundi que la police a trouvé un traqueur GPS sous la voiture de la mère. En plus, Lamontagne exerçait, semble-t-il, une forme d’espionnage informatique de son ex, avec qui il avait rompu quelques mois auparavant.

Ce ne sont pas en soi des gestes « violents », mais des indices inquiétants d’une tentative de contrôle des allées et venues. Ce que les experts appellent le « contrôle coercitif ».

Tous les contrôlants coercitifs ne commettent pas un meurtre. Mais une proportion significative des féminicides et des meurtres d’enfants dans un contexte conjugal sont précédés de gestes de contrôle. Y compris, très souvent, chez des hommes n’ayant jamais été accusés du moindre crime.

En 2020, une fillette de 4 ans a été retrouvée morte dans un ravin de la région de Toronto avec son père, dans ce qui avait toutes les allures d’un meurtre-suicide. Malgré plusieurs facteurs de risque signalant une volonté de « contrôle coercitif » exposés en cour, le père a pu conserver une garde sans supervision. Trois ans plus tard, le Parlement a adopté ce qui a été nommé « Loi de Keira », du prénom de la victime. Elle rend obligatoire la formation des juges en matière de violence conjugale et familiale, notamment quant aux facteurs de risque.

La recherche en a établi toute une liste, qui inclut les comportements déviants passés, les actes de harcèlement ou de contrôle, l’état financier, etc. De là doit découler la décision d’accroître ou non la surveillance électronique – ou la détention – des suspects. De distinguer un acte isolé d’un comportement dangereux.

Est-ce que vraiment, avec la formation adéquate, le juge dans le cas de Keira aurait pris une autre décision ? Est-ce que cela aurait pu sauver la vie de l’enfant ?

Impossible de le dire, bien sûr, et bien souvent les Parlements se donnent le sentiment d’agir concrètement en adoptant une loi purement symbolique. Il n’empêche que ces facteurs de risque doivent être nommés, connus, identifiés.

Un projet de loi privé a été présenté à Ottawa en 2020 pour criminaliser le « contrôle coercitif ». Ce serait une manière d’élargir le concept de harcèlement criminel (suivre quelqu’un de manière répétée, agir de façon menaçante, cerner la maison de quelqu’un…).

Le « harcèlement criminel » lui-même n’a été introduit dans le Code criminel qu’en 1993, ce qui est relativement récent, et c’était justement pour donner des outils de lutte contre la violence conjugale.

Le projet de loi définissait le contrôle coercitif criminel comme « une conduite contrôlante ou coercitive qui a un effet important sur la personne envers laquelle elle est dirigée, tels la crainte de violence, le déclin de la santé physique ou mentale ou un effet préjudiciable important sur les activités quotidiennes ».

Le projet n’a pas abouti, mais il y a probablement lieu, comme il était suggéré, d’allonger la liste des actes interdits – que l’on appelle ça du harcèlement ou du contrôle coercitif. Parce qu’on sait maintenant que les « signes avant-coureurs » de passage à l’acte violent ne sont pas forcément des gestes de violence physique ou même des menaces. Cela rendrait les interventions policières plus faciles. Cela surtout, peut-être, pourrait sauver des vies.

Le taux de féminicides au Canada a bondi tragiquement après la pandémie. Mais dans les 20 premières années du siècle, il avait baissé presque de moitié.

Il faut croire que la prévention sous toutes ses formes y a été pour quelque chose. Pour ça, il a fallu arrêter de croire que ces tragédies étaient plus ou moins impossibles à prévoir ou à empêcher, comme des sortes de catastrophes naturelles.

Il faudra donc revoir exactement ce que les policiers avaient comme information au moment d’arrêter Ianik Lamontagne. Peut-être n’avaient-ils d’autre choix, compte tenu de la preuve. Mais on ne peut pas se contenter de dire qu’il n’y avait rien à faire, vu l’absence d’antécédents judiciaires. Ce qu’on découvrira ne changera rien pour ces enfants. Mais peut-être qu’on apprendra à mieux intervenir pour une autre fois, pour d’autres enfants…

Besoin d’aide pour vous ou un proche ?

Ligne québécoise de prévention du suicide : 1 866 APPELLE (1 866 277-3553)

Consultez le site de l’Association québécoise de prévention du suicide

Quelques ressources pour les personnes violentes et leurs proches

Groupe d’aide aux personnes impulsives, ayant des comportements violents (Québec) : 418 529-3446

Action sur la violence et intervention familiale (Montréal) : 450 692-7313