Chaque fois, l’incompréhension, les voisins qui évoquent un quartier tranquille. Or, selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), dans la plupart des cas, les homicides familiaux ne surviennent pas soudainement et de façon inexplicable, mais ils sont précédés « de conflits qui duraient depuis des semaines ou des mois, voire pendant des années ».

C’est ce qu’écrit l’INSPQ dans un document sur le sujet mis à jour en juillet 2023.

Folie ? Lâcheté ? Maladie sous-jacente ? Comment en arrive-t-on à tuer ses enfants ?

En rendant son verdict en 2022 à l’égard de Michaël Chicoine, qui a plaidé coupable du meurtre prémédité de ses deux fils étouffés avec un oreiller, le juge François Huot a lancé : « J’en ai marre de ces lâches qui se vengent sur des enfants innocents. »

En entrevue téléphonique, le psychiatre à la retraite Richard Cloutier énumère une série de facteurs de risque. Au premier rang : le fait d’être un homme, dit-il. (Selon l’INSPQ, plus de 85 % des filicides sont de fait commis par des hommes.)

Richard Cloutier évoque comme autres facteurs de risque une consommation de drogues ou d’alcool et « une chute sociale abrupte comme une rupture amoureuse, la perte d’un emploi, des pertes au casino », par exemple.

Un problème de santé mentale compte aussi parmi les facteurs de risque, bien que plusieurs auteurs d’homicides familiaux n’en aient aucun.

« État limite »

Mais comment expliquer qu’on puisse faire un tel geste si on n’a pas une maladie mentale ? Assurément, répond le psychiatre Cloutier, il faut être au plus bas pour agir ainsi. Mais la maladie mentale – la dépression, par exemple – « répond à des critères très précis qui ne sont pas observés dans tous les cas ».

Souvent, au moment de commettre l’irréparable, la personne se trouve plutôt momentanément dans « un état limite », qui « est un état de crise qui dure pendant une vingtaine de minutes ».

« On est tous à risque d’avoir une perte de contrôle, comme de frapper un enfant », indique le Dr Cloutier, quoiqu’il soit exceptionnel qu’une personne aille aussi loin que de tuer ses enfants.

Quand une personne se trouve dans un état limite extrême, sa condition mentale est telle qu’elle est alors plus à risque de se suicider aussi, comme cela arrive fréquemment lors de filicides.

On se donne la mort pour toutes sortes de raisons, rappelle le Dr Cloutier. « Parfois en raison d’une détresse, parfois par compassion, parfois aussi par vengeance. »

Il souligne que même les psychiatres « ne sont pas très bons » pour prédire ce genre de tragédie.

(De fait, sept jours avant de tuer particulièrement sauvagement ses enfants en octobre 2019, Jonathan Pomares avait reçu son congé d’un hôpital psychiatrique.)

Aussi est-il encore plus difficile pour des proches de constater des signes avant-coureurs.

Plusieurs auront tendance à se blâmer, à penser rétroactivement que telle parole ou tel geste aurait dû les alarmer, mais le fait est que, le plus souvent, les craintes de l’entourage « auraient été de fausses alertes ».

Consommation en cause ?

Des homicides familiaux récents ont mis en lumière des problèmes de consommation.

La coroner qui a étudié le meurtre des fillettes Carpentier a relevé que leur père, Martin Carpentier, avait augmenté sa consommation récréative de cannabis quelques mois auparavant, selon des proches.

Stéphanie Brossoit, qui a tué sa fille de 6 ans en juillet 2020 et plaidé coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire, avait pris du cannabis, du GHB et des antipsychotiques.

Selon un rapport du Bureau du coroner, 56 mineurs ont été victimes d’homicide commis par un parent ou un beau-parent entre 2011 et 2020. Voici quelques cas de filicides qui ont entraîné des deuils sans nom aux proches et qui ont bouleversé le Québec au cours des dernières années.

  • Octobre 2019 : Jonathan Pomares, âgé de 40 ans, a brutalement assassiné ses deux enfants, avant de se donner la mort à Tétreaultville.
  • Avril 2020 : Une mère tue sa fille et tente de tuer son autre fille à Montréal. Son identité n’a pas été dévoilée pour protéger l’anonymat de l’enfant qui a survécu.
  • Juillet 2020 : Martin Carpentier assassine ses filles Norah et Romy, avant de se suicider. Carpentier avait augmenté sa consommation récréative de cannabis quelques mois auparavant, selon des proches.
  • Juillet 2020 : Stéphanie Brossoit a tué sa fille de 6 ans après avoir pris du cannabis, du GHB et des antipsychotiques.
  • Octobre 2020 : Michaël Chicoine, 32 ans, de Wendake, étouffe ses deux fils. Il plaidera ensuite coupable. En pleine salle d’audience, à la cour, il a attaqué un gardien et a été accusé de voies de fait.
  • Octobre 2022 : Un garçon de 11 ans et une fille de 13 ans ont été assassinés à Laval par leur père, Kamaljit Arora.
  • Juillet 2023 : Mukesh Patel, de Lachine, tue sa conjointe et leur fille de 12 ans avant de se suicider par noyade dans le fleuve.