Le métier, les médias, la salle de rédaction de La Presse, et vous

C’est intéressant d’observer la popularité de Barbie et d’Oppenheimer, deux films grand public qui nous ont incités à sortir de chez nous, qui nous ont permis de débattre calmement de grands enjeux comme l’arme nucléaire et le féminisme, et surtout, qui nous ont fait jaser tous ensemble d’une même chose.

Ça nous a rappelé une autre époque, avouons-le, et pas juste parce qu’on est revenus au cinéma, ou parce qu’on a réussi à débattre sans s’insulter.

Ça nous a rappelé une autre époque parce que nous nous sommes rassemblés autour d’un même lieu, d’un même évènement, d’un même phénomène. Une grand-messe comme il n’en existe quasiment plus.

Le confinement a accéléré le phénomène, mais il était déjà à l’œuvre avant la pandémie : on s’enferme de plus en plus dans nos bulles, devant nos écrans, seuls.

Voyez comment toutes les petites et grandes évolutions numériques qui ponctuent nos vies concourent en effet à nous garder captifs à la maison, et à nous éloigner les uns des autres.

La vidéo sur demande nous éloigne des cinémas.

Les applications de livraison de repas nous éloignent du restaurant.

Les liseuses nous éloignent des librairies.

Les boutiques en ligne nous éloignent des artères, des commerces de proximité et des centres commerciaux.

Et le télétravail en rajoute une couche en nous éloignant du centre-ville, du bureau et des discussions autour de la machine à café.

Autant de phénomènes qui mènent, selon l’expression du philosophe Pascal Bruckner, à une sorte d’« autoconfinement volontaire ».

Si, une fois dans son salon, on réussissait au moins à se rassembler autour de phénomènes sociaux, numériques ou culturels, ce serait au moins ça de gagné.

Mais encore là, voyez les tendances à l’œuvre.

Il y a de moins en moins de rendez-vous télévisuels locaux, comme La petite vie. Les grands galas disparaissent. Et on ne se souvient plus de la dernière fois que tout le monde a parlé de Tout le monde en parle.

Chacun regarde sa plateforme de diffusion préférée, zappe d’une série à une autre, butine à travers une vaste offre d’émissions internationales (souvent en anglais).

Les grands bulletins de nouvelles ont aussi laissé place à une consommation d’information fragmentée, avec un bout d’audio ici, un texte par-là, une vidéo là-bas. De plus en plus de citoyens s’informent en additionnant des morceaux d’une actualité fragmentée.

Et les réseaux sociaux, qui ont agi comme une grande place publique virtuelle pendant quelques années, en sont de moins en moins une. Rappelez-vous Facebook et Twitter au tournant des années 2010 : on avait l’impression d’être tous connectés. On y réagissait, on échangeait, on faisait même du « twivage » en commentant la télé en direct en compagnie des Véro, Guy A. et autres vedettes.

Aujourd’hui ? Twitter, devenu X, a perdu sa raison d’être (pour ne pas dire la raison). Facebook est l’ombre de ce qu’il a été, et ce sera encore plus vrai avec la disparition des liens vers les médias. Et Threads est une coquille vide… avant même que Meta y enlève là aussi les nouvelles ! On se demande donc bien à quoi servira ce nouveau réseau.

Et on se demande, plus largement, où on se regroupera, où on se retrouvera…

Oui, bien sûr, il y aura toujours des réseaux sociaux. Mais ils seront de plus en plus fragmentés par groupes, par âge, par intérêts : WhatsApp, Instagram, LinkedIn, WeChat, TikTok, Messenger, Telegram, Reddit…

Il y aura toujours des bulletins de nouvelles. Mais on ne les regardera pas tous en même temps, sur la même plateforme, à l’image de notre consommation médiatique de plus en plus atomisée.

Il y aura toujours du travail en présentiel. Mais on passera quand même le gros de nos semaines à travailler de la maison avec l’écran comme seule connexion à l’autre.

Et il y aura toujours de grands sujets dont « tout le monde parle ». Mais on aura ces discussions dans nos bulles, nos réseaux, nos canaux, nos groupes d’intérêt, ce qui participera au déclin de la grand-messe, des référents partagés… et de notre culture commune*.

Et donc, tant mieux s’il y a encore à l’occasion des phénomènes comme ce rafraîchissant « Barbenheimer ». Mais ils demeurent malheureusement les derniers relents d’une époque où l’on avait davantage l’impression de faire société.

* Il faut relire la réflexion d’octobre dernier de Marc Cassivi, qui se demandait si la culture populaire québécoise a encore un avenir dans un tel contexte.

Lisez le dossier « Notre culture populaire a-t-elle un avenir ? » Écrivez à François Cardinal