Samedi, 22 octobre 1966, les Laporte ont une activité familiale. Le père, la mère, le grand frère, la grande sœur et le petit bout s’en vont faire un tour de métro, pour la première fois de leur vie. Ça fait déjà une semaine qu’il a été inauguré. On est énervés comme si on allait faire un tour de fusée. On a mis nos habits du dimanche, 24 heures plus tôt.

Les cinq dans l’Impala de papa, on arrive à la station Atwater. On débarque de l’auto et on suit la grosse flèche blanche. Direction en bas. Maman achète les billets et je pousse fort le tourniquet. Dans l’escalier mécanique, on croise des gens qui remontent. Ils ont des étoiles dans les yeux. Des étoiles de souterrain.

Je crois que je ne suis jamais allé aussi profond. Quand on parle, ça sonne creux. Tout est propre. Tout est neuf. Reluisant.

Le métro est là qui attend, d’un bleu luisant. Des dizaines de personnes sur le quai espèrent que ses portes s’ouvrent. Elles ouvrent comme les portes ouvrent dans les films. Toutes seules. Avec un léger bruit mêlant le vent et le caoutchouc. Je m’assois près de la fenêtre. Je veux tout voir. Mon frère reste debout. Ma mère lui dit de bien tenir le poteau. Il paraît que ça va vite. Plus vite que tout ce qui va vite. Plus vite que je ne suis jamais allé. Ma sœur a les yeux grands ouverts. On est prêts à partir en voyage.

Deux notes de musique futuriste, et c’est parti ! On décolle tout en restant au sol. Je regarde par la fenêtre. Un seul paysage : un mur sombre qui défile très vite. Comme un jet qui fonce dans un tunnel de nuages. On arrive à Guy. C’est fini ? Non, ça ne fait que commencer. Des gens débarquent. D’autres embarquent. Pim-poum ! On repart. Plus relaxe. Cette fois, je sais à quoi m’attendre. Toujours la même vue. Escale Place-des-Arts. Pas de chanteurs ni de ballet sur le quai. Le show est en haut. Nouveau départ. Saint-Laurent. Puis Berri-de-Montigny. Beaudry. Et enfin Papineau. On a traversé la ville d’ouest en est. Sans rien voir. Comme si on avait été téléportés. Le temps de dire hi ! puis bonjour !

Ma mère me demande :

« As-tu aimé ça ?

— Oui, ça va vite !

— Qu’est-ce que tu as préféré ?

— Regarder le tunnel passer. »

C’est toujours le point de vue du passager. Il croit toujours que c’est le paysage qui passe, alors que c’est lui.

« Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

— On retourne à la maison. »

Toute la famille remonte pour redescendre. Nous voilà sur l’autre quai. Et on refait le même voyage dans l’autre sens. De Papineau jusqu’à Atwater. Et à chaque station quittée, je suis un peu plus débiné, ça veut dire que le tour de manège est bientôt terminé.

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Passagers à la station Berri-de Montigny

Atwater, terminus, tout le monde descend ! Ou plutôt, tout le monde remonte. La lumière du jour est encore plus belle quand on sort de l’ombre. On rembarque dans l’Impala :

« Pis, papa, comment tu as trouvé ça ?

— Bien. »

Mon père est un homme de peu de mots et d’un seul moyen de transport : son auto. Je ne sais pas s’il a repris le métro, après ce beau samedi. Mais des millions et des millions et des millions de Montréalais, oui.

Le métro a changé nos vies. Un an avant l’Expo, la métropole avait compris que pour avoir un rêve commun, il faut s’y rendre ensemble, en transports en commun.

C’était au temps où les grands projets faisaient l’unanimité.

PHOTO GABOR SZILASI, TIRÉE DU SITE DE BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC

Le maire de Montréal, Jean Drapeau (à droite), lors de l’inauguration du métro

Je ne sais pas si plusieurs familles se précipiteront, ce samedi, pour faire un tour de REM. L’expérience en vaudra sûrement le prix. Peut-être pas le prix du REM, mais le prix gratuit du week-end ! Une chose est sûre, la vue sera plus belle que la mienne, à l’époque ! Pour les citadins d’expérience, comme je suis, ce sera comme un grand tour de Minirail pimpé. Cette fois, la Terre des Hommes et des Femmes s’étendra de Brossard au centre-ville.

Le REM changera-t-il nos vies ?

On souhaite tous que oui. Que lorsque toutes les phases seront achevées, il nous permettra de mieux respirer, au propre comme au figuré. En pouvant nous déplacer plus rapidement, sous un ciel moins pollué. Dans un climat moins réchauffé.

Tout est une question de planification.

Il n’y a pas de conducteur dans le REM, mais il faut qu’il y en ait un, ailleurs. Et un bon ou une bonne !

Bon tour de REM !

Puissions-nous le prendre beaucoup plus souvent que mon père a pris le métro !