Il y a pire qu’un logement sans entrées pour la laveuse et la sécheuse, semble-t-il. Ce serait un logement sans stationnement. En fait, c’est carrément interdit dans certaines rues de Laval, même quand une station de métro se trouve à moins de cinq minutes à pied.

C’est ce qu’a découvert Dominic avec stupéfaction. Le Lavallois, qui préfère taire son nom, n’est pas un promoteur immobilier, il ne souhaite pas s’aventurer dans la construction d’une tour de 10 étages. Mais il espérait faire une petite différence dans la crise du logement qui sévit au Québec. Ajouter sa petite goutte dans l’océan immobilier.

Il projetait d’ajouter deux logis dans son immeuble qui en compte déjà quatre. Le demi-sous-sol, utilisé comme rangement par les locataires, est assez vaste et haut pour accueillir autre chose que des boîtes. Des étudiants ou des couples sans véhicule pourraient y trouver leur bonheur et se rendre au métro Cartier le temps d’écouter une seule chanson.

Ça tombe bien, il manque justement de logements, ceux qui se trouvent à proximité des transports en commun font fureur et le maire Stéphane Boyer rêve de quartiers plus verts orientés vers le transport collectif. C’est sans compter que l’immeuble que Dominic possède depuis bientôt 10 ans serait plus rentable avec deux loyers supplémentaires, malgré l’investissement requis d’au moins 100 000 $. Avec ce projet, donc, tout le monde gagne.

Mais ô surprise, sa demande de permis a été rejetée par la Ville de Laval.

Pas parce que l’ajout de logements est interdit, mais parce que le terrain n’est pas assez grand pour accueillir un espace de stationnement de plus. Chaque logement doit impérativement disposer d’un stationnement de 6,4 m de large, lui a-t-on écrit. Or, son terrain n’est pas assez vaste. À l’heure actuelle, les locataires des quatre logements ont accès à cinq espaces pour garer leur véhicule. Ils peuvent aussi stationner dans la rue, avec une vignette.

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Il est possible de se stationner avec une vignette dans la rue de l'immeuble de Dominic.

« C’est un non-sens ! On veut densifier et favoriser les transports en commun, mais il faut des cases de stationnement », dénonce Dominic tout en qualifiant de « spirale infernale » les échanges avec les urbanistes.

Sur le coup, j’ai pensé que le règlement datait de l’époque où l’on souhaitait encore que la voiture soit reine dans nos cités. Mais non. L’actuel code d’urbanisme est entré en vigueur en novembre 2022, soit après l’élection du maire Boyer et deux mois après la parution de son livre Des quartiers sans voitures – De l’audace à la réalité.

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Des quartiers sans voitures – De l’audace à la réalité

Cette nouvelle mouture du code vise bel et bien à réduire l’offre en stationnement, jure-t-on. « La Ville de Laval est bien placée pour constater qu’une suroffre en places de stationnement crée invariablement de plus faibles densités d’occupation du territoire ainsi qu’une hausse des taux de possession automobile », m’a écrit le chef des affaires publiques Philippe Déry.

L’ancienne réglementation exigeait « généralement 1,3 case » de stationnement par logement, mais parfois jusqu’à 1,5 et même 2 cases. Désormais, c’est moins élevé, notamment au centre-ville et dans le secteur du métro Cartier où le ratio est passé à 0,5 case.

On salue l’effort de modernisation qui devrait en théorie permettre à Dominic de créer ses logements à quelques pas de la ligne orange. Mais son immeuble a le malheur d’être situé dans la rue d’Aurillac. Et, dans cette rue, « en raison de son cadre bâti existant à préserver », il faut absolument une case par logement, confirme la Ville. Rien à faire, donc, le demi-sous-sol devra continuer à être occupé par des objets entreposés.

Stéphane Boyer n’a pas souhaité commenter ce cas précis, mais il m’a écrit qu’il souhaite « faciliter le développement autour des grands axes de transport en commun et le rendre plus difficile dans nos milieux naturels ». Il convient que la densification autour du métro Cartier doit être favorisée.

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Le maire de Laval, Stéphane Boyer

« Or, on ne veut pas que ça se fasse n’importe comment, a-t-il ajouté. On tient à ce que la ville se développe de manière intelligente afin d’en faire un milieu de vie agréable à habiter et à visiter. Pour y arriver, on ne peut pas appliquer une règle générale à toutes circonstances et c’est pourquoi certaines rues ou [certains] secteurs peuvent s’exempter d’une vision qui s’applique pourtant à proximité. »

Bien sûr, les villes doivent avoir des règles et il faut s’assurer que le développement se fasse de manière cohérente et sensée. C’est essentiel.

Mais on a aussi besoin d’être créatifs et ouverts d’esprit pour qu’il s’ajoute des logements sur des terrains où les infrastructures se trouvent déjà. Pour éviter l’étalement urbain et tenir compte du fait que les nouvelles constructions se raréfient.

À Montréal, le nombre de mises en chantier recensées en juin n’avait pas été aussi famélique depuis 25 ans⁠1. En pleine crise du logement, c’est le monde à l’envers. On s’attendrait à ce que les promoteurs immobiliers s’empressent de construire des logements en sachant que la demande est forte. Mais non, les coûts d’emprunt, le prix des matériaux et la bureaucratie les découragent à sortir les pelles mécaniques.

Le projet avorté des deux appartements de Dominic ne fera pas une énorme différence sur l’offre dans l’île Jésus. Mais l’histoire illustre à quel point une ville peut aller à l’encontre de tout ce qu’elle prêche en faisant respecter à la lettre un règlement.

Ce genre de scénario s’est aussi produit à Montréal, où un couple voulait démolir un garage décrépit et inutilisé sur son terrain pour le remplacer par de la verdure.

Au lieu d’encourager cette utilisation plus écologique de l’espace, l’arrondissement du Sud-Ouest s’est acharné à faire appliquer son règlement selon lequel le garage pouvait uniquement être remplacé par… un stationnement asphalté, avait rapporté Le Devoir⁠2. Sa seule option : payer 2500 $ pour contourner les règles.

Dominic pourrait demander une exemption, mais le processus le rebute après toutes les démarches déjà effectuées. « Je trouve que c’est déjà assez laborieux de juste comprendre les règlements, j’ose à peine imaginer si je devais demander une dérogation. Probablement qu’il faudrait débourser des coûts avec un architecte pour des plans et payer les frais d’étude de cas, sans avoir une garantie que cela fonctionne. »

Parfois, la lourdeur bureaucratique est pire que le poids du prêt hypothécaire.

1. Lisez « Construction résidentielle à Montréal : le pire mois de juin en 25 ans » 2. Lisez le texte du Devoir « Quand verdure et béton s’affrontent »