Parfois, les choses sont aussi simples qu’elles le paraissent. David Johnston l’a démontré malgré lui plus tôt cette semaine quand il s’accrochait encore à son poste de rapporteur spécial sur l’ingérence du régime de Pékin, même si la Chambre des communes réclamait son départ.

M. Johnston a répondu qu’il avait été nommé par le premier ministre, et non par le Parlement. C’était vrai, et c’était justement le problème. Qu’il ne s’en soit pas rendu compte lui-même était un facteur aggravant.

Pendant une semaine, il est accroché, les ongles plantés dans le tapis. Il a résisté et résisté encore jusqu’à ce que le vent contre lui soit trop fort.

Le ver était pourtant dans le fruit dès le départ.

Pour un nombre très limité de sujets, comme le système électoral, le gouvernement n’a pas l’autorité morale pour agir seul. Quand il modifie le mode de scrutin, redécoupe les circonscriptions ou change autrement les règles du jeu, il devient juge et partie. Selon la convention, il doit chercher le plus vaste consensus possible.

C’est ce qui aurait dû se passer avec les tentatives d’ingérence du Parti communiste chinois. D’autant plus que ce n’est pas seulement l’intégrité des élections qui est en jeu. Il s’agit aussi d’évaluer la réponse du gouvernement Trudeau face à ces menaces.

M. Trudeau a commis la première erreur en nommant lui-même le rapporteur spécial. M. Johnston a commis la deuxième erreur en acceptant le mandat. Il en a ensuite fait une troisième en refusant de se retirer comme le lui a demandé la Chambre des communes par l’entremise d’un vote officiel.

Après ces trois prises, M. Johnston a continué pendant quelques jours, jusqu’à sa démission vendredi, à s’élancer dans le vide devant la foule incrédule. En comité parlementaire mardi, il soutenait qu’une enquête publique serait trop longue et coûteuse.

Or, c’est au gouvernement élu, et non à lui, de se prononcer sur la gestion des fonds publics et sur le prix à payer pour la démocratie.

Une autre preuve de cette confusion des rôles.

Voilà, ce sera la dernière ligne pour aujourd’hui sur le sujet. Je sais, ces péripéties suscitent un enthousiasme à peu près équivalent à celui d’un dossier sur la réforme du Sénat publié à la fin juillet. Mais si j’y reviens, c’est parce qu’il révèle un problème plus profond à Ottawa : le lent et pénible processus des nominations.

En 2016, on sonnait l’alarme : plus de 300 nominations étaient en retard pour des sociétés de la Couronne, des agences fédérales, des ambassades et des tribunaux.

En 2020, ce n’était pas vraiment mieux. Près de 200 postes étaient encore vacants, s’inquiétait la haute fonction publique dans un mémo interne. Par exemple, la fonction névralgique d’ambassadeur à Paris a été orpheline pendant presque une année.

Début mai, la Cour suprême écrivait à son tour à M. Trudeau pour s’inquiéter des retards dans la nomination des juges. Pas moins de 85 postes ne sont pas pourvus.

Cette situation « intenable » aggravera les délais déjà critiques.

Les libéraux disent vouloir prendre le temps de trouver les bonnes personnes, en s’assurant de consulter les milieux concernés et de favoriser la diversité sous toutes ses formes.

Cette réflexion n’est pas toujours méthodique. Au Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue, les libéraux ont nommé un lieutenant-gouverneur unilingue anglophone. Ils ont également choisi en mars dernier la belle-sœur du ministre Dominic LeBlanc comme commissaire intérimaire à l’éthique. Attaquée par les partis de l’opposition et fragilisée par son mandat temporaire, elle annonçait son départ un mois plus tard. La chaise est encore vide.

L’harmonie ne régnera pas davantage à CBC/Radio-Canada, où le mandat de Catherine Tait a été renouvelé. Mme Tait a mis les deux pieds en politique partisane l’hiver dernier en interpellant Pierre Poilievre, ce qui n’a fait que donner des munitions aux conservateurs, qui veulent réduire son financement. Elle a aussi pris des positions controversées en invitant les journalistes à rompre avec leur devoir de réserve pour manifester en l’honneur des Premières Nations, et aussi en appuyant l’interdiction du « mot commençant par un N » même pour les citations d’œuvres, ce qui a été critiqué par plusieurs têtes d’affiche francophones.

Enfin, pour évaluer la réponse aux tentatives d’ingérence étrangère dans les élections en 2021, M. Trudeau a choisi l’ex-PDG de la fondation portant son nom de famille, Morris Rosenberg. Quelques mois plus tard, le rapporteur devenait l’objet de critiques après les révélations sur le don de près de 200 000 $, commandité par Pékin, à la Fondation Trudeau.

Le premier ministre et son gouvernement ne peuvent pas tout gérer. L’art de gouverner consiste aussi à nommer les bonnes personnes aux bons endroits. Et sous cet aspect, de toute évidence, les libéraux sont encore en rodage.