Dans une sorte d’attaque préventive, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a dit publiquement sa consternation devant le transfert de Paul Bernardo d’un pénitencier à sécurité maximale à un pénitencier à sécurité « moyenne ».

Attaque préventive parce que, sans surprise, le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, allait dénoncer les libéraux pour cette décision qui n’a rien à voir avec le gouvernement. C’est en effet Service correctionnel Canada qui prend ce genre de décision en analysant le dossier des prisonniers.

Justin Trudeau n’a qu’à dire lui-même aux gestionnaires de pénitencier que les assassins de cette sorte ne devraient jamais quitter le « maximum », a dit M. Poilievre : c’est un « no-brainer », une évidence.

Mardi, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, réclamait même la démission de la commissaire du Service correctionnel, Anne Kelly, pour ce transfert de l’établissement à sécurité maximale de Kingston à un établissement à sécurité moyenne du Québec, en l’occurrence La Macaza.

Soumise à cette intense pression, la commissaire, censée agir en toute indépendance des influences politiques ou autres, a annoncé une révision de cette décision.

Je ne serais pas surpris que cette décision « indépendante » soit corrigée après réexamen.

Personne ne s’en plaindra, car évidemment, personne ne veut s’associer à la moindre apparence d’allégement de peine d’un des pires criminels des annales canadiennes.

Pourtant, s’il y a une commissaire du Service correctionnel, c’est justement pour que les dossiers ne soient pas gérés selon la notoriété des criminels, selon le degré d’antipathie ou de sympathie qu’ils provoquent, ou selon les motivations politiques. Mais selon des principes établis par la loi.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Paul Bernado en 1994

Paul Bernardo a violé et assassiné des adolescentes de 15 et 14 ans, Kristen French et Leslie Mahaffy, ainsi que Tammy Homolka, 15 ans, la sœur de celle qui était sa femme à l’époque, la tristement célèbre Karla. Il a en outre violé 14 femmes.

Emprisonné depuis 1993, il a été condamné en 1995 à l’emprisonnement à perpétuité pour deux de ces meurtres – sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, c’est-à-dire avant 2018. Il a en outre été déclaré délinquant dangereux, ce qui entraîne une peine « indéterminée » – en pratique, pour la très grande majorité des cas, c’est la prison à vie.

Il n’y a donc aucun risque véritable de voir un jour sortir du pénitencier cet homme maintenant âgé de 58 ans. Il n’y a pas non plus une seule personne sensée plaidant pour sa mise en liberté.

Mais la gravité des crimes commis n’est pas le seul critère pour décider où et comment sera détenu un délinquant. Sa dangerosité pour le personnel et les autres détenus, son comportement entre les murs, son risque d’évasion, l’évaluation de son cas par des spécialistes : tout ça fait partie de l’évaluation et du « classement » d’un prisonnier.

Une personne détenue au « maximum » n’aura pas droit à une sortie non supervisée. Mais une personne détenue dans un pénitencier à sécurité moyenne ne va pas pour autant sortir. Cela suppose une décision rendue publiquement par des commissaires. Même après 30 ans, les crimes horribles de Paul Bernardo sont encore frais dans les mémoires, et il est hautement improbable, voire impossible qu’il sorte jamais une seule journée. Et si cela arrivait, ça se saurait.

Est-ce que ça veut dire qu’il doive rester au « maximum », si son comportement ne le justifie pas ? Le système correctionnel n’est pas un outil de vengeance, mais de gestion des délinquants et de réhabilitation pour ceux qui le peuvent.

Le fait de pouvoir récompenser ou punir le comportement d’un prisonnier est un outil de discipline entre les murs et ne devrait pas être perçu comme une sorte de complaisance face au crime.

Ce cas est peut-être l’un des plus sinistres des 30 dernières années au Canada, mais (hélas) le catalogue des criminels violents ne s’arrête pas à Paul Bernardo. Des tueurs en série, des tueurs de masse, des tueurs d’enfants, des terroristes, il y en a aussi dans les établissements fédéraux.

Il y a aussi des gens ayant commis des crimes graves, très graves même, qui obtiennent une libération conditionnelle et qui, pour la très grande majorité, ne récidivent pas. Je ne parle pas de Paul Bernardo, je le répète : il ne sortira pas.

Je parle de dizaines d’autres, oubliés du public et des politiciens, qui ont réussi à faire leurs preuves auprès des commissaires. Ça se peut. Ça existe. Ça doit exister.

Je ne voudrais pas que Justin Trudeau, ni Pierre Poilievre, ni aucun autre politicien commence à jouer au commissaire pour se rendre populaire. Soit pour dénoncer une prétendue « clémence » envers un détenu, soit pour dénoncer une trop grande sévérité dans la gestion de la peine par le Service correctionnel – comme on le voit dans les discours de Donald Trump au sujet de ceux qui ont envahi le Capitole le 6 janvier 2021.

Les députés ne sont pas des gardiens de prison.