Quand le visage de Bernard Drainville devenait rouge et humide en commission parlementaire, l’image d’une caricature de Chapleau venait en tête.

Des gens se mettent en ligne en attendant leur tour pour administrer une baffe au politicien, qui les encaisse sans plaisir, mais sans surprise non plus. Serge l’a faite pour plusieurs élus, et le ministre de l’Éducation serait un bon candidat pour sa prochaine bouille.

Lundi, veille de sa fête, M. Drainville a bénéficié d’une courte trêve lors de son annonce sur l’enseignement du français. Mais en même temps, les orientations restaient générales et le ministre s’engage à tenir des consultations avant de les préciser. Difficile de déchirer sa chemise sans que sa mauvaise foi soit mise à nue.

Le retour à la normale ne devrait toutefois pas tarder.

La vérificatrice générale rapportait à la fin de mai qu’un enseignant sur quatre n’était pas qualifié. Ce problème, M. Drainville ne l’a évidemment pas créé. Il cherche de son mieux des solutions. Mais à écouter le bruit ambiant, ça ne paraît pas.

Sur le diagnostic, il y a unanimité. Cette pénurie nuit aux enfants qui se trouvent devant un professeur non qualifié ou suppléant. Les enseignants eux-mêmes en souffrent aussi. Particulièrement les plus jeunes, qui se promènent d’une classe à l’autre, s’épuisent et songent à quitter le métier pour sauver leur peau.

L’école s’enfonce dans ce cercle vicieux. Plus le travail est ingrat, plus il sera difficile de recruter des enseignants et de retenir ceux en poste. Et plus la pénurie s’aggrave, plus ceux qui restent en auront plein les bras. Et ainsi de suite.

Que faire, alors ?

Si des profs non qualifiés sont refusés, des élèves risquent de se trouver dans une classe vide, et les autres enseignants seront encore plus débordés.

Si ces profs non qualifiés obtiennent une tolérance du Ministère, quelqu’un déplorera qu’on sacrifie les jeunes de leurs classes.

M. Drainville ne peut pas cloner les enseignants. Il ne peut pas non plus hausser unilatéralement le nombre d’élèves par classe. Il fonctionne dans le cadre contraignant de la réalité, là où les miracles sont impossibles.

Quand il veut inciter les éducateurs en service de garde à aider les professeurs sur une base volontaire durant leur temps libre, on lui répond que c’est au mieux un tout petit diachylon, au pire un écran de fumée qui masque le manque de psychoéducateurs et d’autres spécialistes.

Quand il propose une formation accélérée pour les profs non qualifiés, les syndicats l’accusent d’offrir un diplôme au rabais et de dévaloriser leur profession.

Quand il souhaite recruter de nouveaux enseignants en assouplissant la maîtrise qualifiante (30 crédits au lieu de 60), pour qu’un bachelier en histoire, par exemple, devienne prof au secondaire sans devoir compléter le long baccalauréat de quatre ans, les facultés d’éducation critiquent cette voie rapide qui échappe en partie à leur contrôle.

Si le ministre donne trop de chances aux futurs enseignants qui échouent à l’épreuve de français prévue durant leur bac, il nivelle par le bas. Et s’il rehausse les exigences, il ajoutera un obstacle et on l’accusera d’accentuer la pénurie.

Son dilemme : choisir entre des mesures qui lui vaudront des tomates dans le front ou derrière la tête…

Cela dit, M. Drainville a sa part de torts. Son début de mandat est laborieux. Il a perdu un peu de crédibilité avec des déclarations maladroites.

Et il s’est magasiné des ennemis en ajoutant à sa réforme le pouvoir de dégommer les dirigeants de centres de services scolaires. Cette centralisation passe mal.

Le ministre promet de « résister aux résistances ». Il s’en vante, comme si cela prouvait qu’il s’attaque bravement aux forces de l’inertie.

Bien sûr, même si une idée est critiquée, cela ne la rend pas forcément mauvaise. Mais l’inverse n’est pas vrai. Ce n’est pas parce qu’une mesure est dénoncée qu’elle est bonne…

Sur papier, tout est simple. Il faut valoriser le métier d’enseignant en les payant mieux, en allégeant les tâches administratives et en bonifiant l’offre de professionnels spécialisés comme les orthophonistes.

Mais M. Drainville ne fait pas du dessin. Il ne rédige pas un document PDF du parfait petit système d’éducation.

Pour se sortir de la spirale de la pénurie, le ministre doit gérer des demandes contradictoires de différents groupes de pression, avec des moyens limités.

Les syndicats martèlent la même demande : négociez ! Selon eux, la solution doit venir d’une entente, et non d’une décision imposée de force. En effet, c’est important. Mais à en juger par le passé, ça ne suffira pas.

En 2019, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) se félicitait de la nouvelle entente qui allait « marquer l’histoire de la profession ». Au dernier échelon salarial, ses membres rejoignaient la moyenne canadienne. Leur autonomie était aussi inscrite dans le contrat, en plus de mesures pour la conciliation travail-famille et pour une « composition de classe plus respectueuse ».

« Tout n’est pas réglé », nuançait le syndicat. Mais au minimum, les conditions de travail étaient censées être moins pénibles que ce qu’on dépeint aujourd’hui.

Cette année encore, la meilleure des conventions collectives ne pourra pas à elle seule corriger tous les problèmes.

Il est trop facile d’attaquer chaque proposition en disant qu’elle ne réglera pas la crise. Aucune n’aura cet effet, bien sûr. Mais si on rejette chaque petite idée, je doute que ça aide.