C’est difficile de ne pas avoir la chair de poule en regardant la vidéo des 200 pompiers sud-africains chantant en chœur lors de leur arrivée à l’aéroport d’Edmonton le 4 juin.

La joie et l’harmonie qui émanent du groupe semblent inversement proportionnelles à la férocité des flammes qu’ils sont venus combattre en Alberta. En quelques jours, plus de 750 000 personnes ont regardé l’extrait du chant, accompagné de quelques pas de danse.

Les pompiers sud-africains à leur arrivée à l’aéroport d’Edmonton

Pourtant, pour le groupe de pompiers, il n’y avait rien d’exceptionnel dans cette performance spontanée. « En général, danser et chanter fait partie de la culture sud-africaine. Et c’est encore plus vrai pour nos pompiers. Nous allons au travail en chantant. Nous chantons en combattant les flammes. Nous chantons en nous déplaçant. La plupart des chansons sont improvisées. Après quelques jours, vous verrez, vous allez entendre le mot Canada apparaître dans les paroles », m’explique au téléphone le leader du groupe, Trevor Abrahams, joint en Alberta.

Ce serait une erreur gigantesque de s’intéresser seulement aux prouesses vocales et chorales de ce groupe de soldats du feu, qui, à lui seul, incarne les défis au sein de la société sud-africaine et les moyens déployés pour y faire face.

Les pompiers sud-africains qui sont en mission au Canada font tous partie de Working on Fire, une initiative gouvernementale pour combattre la pauvreté en même temps que les brasiers.

Car s’il y a un feu qui fait rage depuis longtemps dans le pays de 59 millions d’habitants, c’est celui du chômage. Il atteint 30 % pour la population en général et dépasse les 40 % chez les jeunes.

La pauvreté, elle, touche près de 62 % de la population du pays, selon les plus récents chiffres de la Banque mondiale. Environ 20 % de la population vit dans le dénuement extrême, survivant avec moins de 2 $ par jour. Et tout ça, sur fond d’inégalités extrêmes largement héritées du régime d’apartheid, aboli en 1994.

C’est donc en majorité de jeunes chômeurs de 18 à 24 ans que Working on Fire recrute au sein de communautés fragilisées de l’Afrique du Sud depuis 20 ans. Les recrues ont droit à une première formation de cinq semaines et à plusieurs stages de spécialisation. Ils sont ensuite appelés à combattre des feux dans leur propre pays. « Nous avons deux saisons d’incendies de forêt, dit Trevor Abrahams. Celle de l’hiver commence ces jours-ci. »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE WORKING ON FIRE

Les pompiers sud-africains déployés en Alberta lors d’une rencontre d’équipe

Les pompiers de Working on Fire travaillent notamment dans les aires de conservation de la faune, une des grandes richesses de l’Afrique du Sud. L’avion qui est arrivé à Edmonton dimanche dernier a décollé de l’aéroport de Kruger, paradis des safaris. Avant de monter à bord, les 200 pompiers sélectionnés pour venir au Canada ont eu droit à une petite mise à jour éclair de trois jours.

Si chez eux ils sont habitués à surveiller du coin de l’œil l’arrivée des lions, des éléphants et des serpents, ils apprennent qu’ici le danger prend la forme d’un ours ou d’un cougar.

« On leur parle aussi des chutes d’arbres, plus courantes au Canada qu’en Afrique du Sud », note Trevor Abrahams. Chacun son exotisme !

Sur le terrain, ils sont envoyés combattre les incendies en compagnie d’un pompier local, qui connaît bien le terrain. « C’est ce que nos pompiers aiment le plus, le contact avec la population locale », ajoute M. Abrahams.

C’est la cinquième fois que les pompiers sud-africains viennent prêter main-forte dans l’Ouest canadien. Pourtant, cette collaboration a bien failli partir en fumée lors de leur premier séjour en 2016.

PHOTO TOPHER SEGUIN, ARCHIVES REUTERS

Pompiers sud-africains sur le terrain à Fort McMurray, en 2016

Quelques jours après leur arrivée à Fort McMurray, en Alberta, plusieurs d’entre eux se sont révoltés contre leurs conditions de travail, notant une importante disparité salariale avec leurs collègues canadiens et déplorant des écarts entre ce qui leur avait été promis et la réalité sur le terrain. Ils ont fait la grève et sont repartis pour l’Afrique du Sud.

Trevor Abrahams dit qu’il s’agissait là d’un terrible « malentendu ». Il affirme que ses pompiers sont aujourd’hui payés autant que leurs vis-à-vis canadiens. C’est la moindre des choses !

Surtout que les écarts salariaux sont gigantesques entre les deux pays. Si en moyenne les pompiers d’Alberta sont payés 45,31 $ de l’heure, selon des sites internet compilant les moyennes de salaires, ceux d’Afrique du Sud reçoivent en moyenne 7 $ de l’heure, selon les mêmes sources. Une comparaison imparfaite, mais donnant un ordre de grandeur fort éloquent.

Dans une vidéo mise en ligne cette semaine par Working on Fire, une des pompières déployées au Canada, Nosipho Mpande, originaire du Cap-Occidental, explique qu’elle donnera tout ce qu’elle a pour aider le Canada, mais qu’elle veut aussi rendre sa famille fière. Elle compte réparer sa maison en rentrant chez elle grâce au salaire plus élevé qu’elle recevra pendant son séjour.

Si c’est ce genre d’échange mutuellement bénéfique que permet cette collaboration canado-sud-africaine, ça donne envie d’aller chanter pour encourager tous les braves qui sont au front pour venir à bout de ces terribles incendies qui nous consument.