Ce n’est pas la première fois qu’on le remarque : quand les forêts brûlent, les astres sont magnifiques. Le soleil, lundi soir, était d’un orange fluo aux contours flous. Mardi matin, il était encore anormalement magnifié.

Lundi, au café, c’est comme si on avait appliqué aux fenêtres un filtre de couleur : l’extérieur semblait jauni artificiellement, gracieuseté des particules fines qui nous parviennent des nombreux chemins des incendies.

Ces mêmes particules fines changent la vision qu’on peut avoir du monde jusqu’à New York où, semble-t-il, le smog québécois a coloré le ciel, lundi soir. Encore là, les photos sont magnifiques… Même si l’atmosphère du Nord-Est américain est polluée comme elle ne l’avait pas été depuis 2019.

Certains parlent de ces images dangereusement belles comme celles de la fin du monde. C’est sans doute le signe de la fin d’un monde : chaque été ou presque depuis des années, on bat un record de chaleur établi l’été précédent. Le nouveau monde sera beaucoup moins tempéré. Comme le veut l’adage inventé par je ne sais qui : Ne dites pas que cet été est chaud, dites que c’est le plus frais des années à venir…

Ces incendies de forêt sont-ils un effet indéniable des changements climatiques ? Les scientifiques le disent et le répètent : il est difficile de prendre un évènement et de dire : voilà, c’est lié au réchauffement de la planète… Ce qu’ils disent, c’est que les évènements climatiques extrêmes vont se multiplier, à cause du réchauffement climatique.

Ce qui se passe au Québec est-il « extrême » ? On dirait bien. Il y a deux ans, un record canadien de chaleur a été établi à Lytton, en Colombie-Britannique : 49,6 ˚C, dans un contexte de « dôme de chaleur ». Quelques jours plus tard, le village de Lytton était rasé par un gigantesque incendie de forêt. Bonjour le symbole…

Je sais, je sais : il faut « combattre » les changements climatiques. L’ennui, c’est encore et toujours le manque de volonté politique. Ici et ailleurs. Ça, c’est la version courte.

La version longue, c’est que la volonté politique n’est que la queue du chien. Le chien, c’est nous. Nous, qui votons. Nous, qui donnons de la légitimité à nos gouvernants. Le chien choisit de quel bord sa queue remue, je veux dire que nos priorités imposent celles des partis politiques qui sollicitent nos votes…

L’environnement, le climat ? Loin, ben, ben loin derrière les baisses de taxes et d’impôts, l’accès aux soins de santé, combler les nids-de-poule et tout ce qui constitue l’essentiel du buffet électoral.

L’environnement, le climat ? C’est la priorité… numéro 28.

Si vous en doutez, répondez à cette question : y a-t-il un gouvernement dans ce pays, au provincial ou au fédéral, qui depuis 20 ans a été défait sur la question de l’environnement, du climat ?

Réponse, et je veux bien être contredit : non… Au contraire.

Prenez la CAQ. Le parti de François Legault a fait campagne sur un programme et des promesses électorales dénués de toute ambition en matière de climat. Pas grave, il a remporté une super majorité de 90 députés.

Prenez l’Alberta. La candidate conservatrice a été élue première ministre en promettant de combattre tout ce que le fédéral pourrait être tenté d’imposer comme mesure de réduction des gaz à effet de serre.

Prenez le gouvernement fédéral. Le Parti libéral du Canada se pose en champion climatique. Son ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a été pendant une génération le visage de la lutte contre les changements climatiques, celui qui alertait sur les dangers du réchauffement et qui a même escaladé la tour du CN pour y accrocher une bannière : CANADA AND BUSH-CLIMATE KILLERS…

Devenu ministre, Steven Guilbeault a autorisé le projet de forage pétrolier en mer de Bay du Nord – depuis mis sur pause –, au large de Terre-Neuve.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique

Devenu ministre, Steven Guilbeault a donné son aval à l’extraction d’un milliard de barils de pétrole du fond marin. Cent mille personnes pourraient abandonner leur char pour un BIXI demain matin, ça ne compensera pas ce milliard de barils de pétrole.

C’est pourtant une équation assez simple : plus on va creuser pour sortir du gaz et du pétrole de terre, moins les énergies propres seront attrayantes pour les investisseurs, plus elles tarderont à s’imposer. M. Guilbeault connaît ce principe, il pourrait parler de cela pendant des heures sans regarder ses notes.

M. Guilbeault aurait pu démissionner plutôt que d’autoriser ce milliard de barils, comme un ministre français de l’Environnement tanné d’avaler des couleuvres l’a fait, il y a quelques années. Mais M. Guilbeault semble être un grand amateur de tartare de couleuvres.

Alors on peut blâmer le politique. Je le fais. On peut blâmer les individus dans les postes de responsabilité. Je le fais.

Mais il faut que nous, citoyens, fassions quand même un examen de conscience : si M. Guilbeault a pu donner le feu vert à un projet qui va ajouter un milliard de barils de pétrole au bilan carbone du Canada, c’est surtout parce qu’il n’y a pas de prix politique à payer pour une telle décision.

L’environnement, le climat, c’est magnifique pour la page couverture du plan de marketing politique. Mais ce n’est pas payant politiquement. Et ça, ce n’est ni la faute de Steven Guilbeault ni celle de tous les ministres de l’Environnement depuis trois décennies ainsi que leurs premiers ministres, non, c’est la faute de ceux qui votent. Notre faute.

Tant qu’il n’y aura pas de prix politique à payer pour les demi-mesures climatiques, on va continuer à affronter la crise climatique avec des demi-mesures politiques.

Les demi-mesures sont « payantes » depuis plus de 30 ans, depuis le Sommet de Rio qui a imposé le climat aux consciences et dans la sphère publique.

Et je doute que l’odeur des forêts qui brûlent change quoi que ce soit à cette réalité, pas plus que les images dangereusement belles qui en découlent.