« Plans de combat », « tactiques », « attaques »… Les pompiers forestiers mènent une guerre contre un ennemi sauvage et imprévisible : le feu. La Presse a assisté au breffage, jeudi matin, des effectifs qui ont reçu la mission d’éteindre – une fois pour toutes – l’incendie no 436 au Lac-Saint-Jean.

(Roberval) 7 h 30. Une dizaine de personnes en uniforme orange criard se rassemblent autour de Patrice Charest. Des pompiers réguliers ainsi que de nouveaux visages qui viennent apporter du renfort à l’équipe.

Depuis deux jours, ces pompiers combattent l’incendie no 436, qui fait rage au nord du lac Saint-Jean. Il n’est pas très gros, mais il a été jugé prioritaire parce qu’il n’est pas très loin du village de Saint-Stanislas. Le no 436 fait partie des 35 incendies, sur 132, qui sont combattus par les pompiers de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) à travers la province.

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Rencontre d’équipe en début de journée

Les pompiers sont arrivés, mardi, à contenir cet incendie provoqué par la foudre qui était jusqu’alors jugé « hors de contrôle ». Mercredi, l’incendie a été maîtrisé. Et jeudi, l’objectif était de l’éteindre une fois pour toutes afin de protéger une pourvoirie et des résidences plus au sud.

« Quand on est arrivés en attaque initiale [mardi matin], tout ça fumait », explique Patrice Charest en désignant sur une carte un incendie couvrant 24 hectares, le 436. « Les vents étaient très forts, ils étaient erratiques, ils venaient du nord-est et du nord-ouest », raconte le chef de lutte avec sa longue barbe rousse et son chapeau de cowboy. Sa voix est en partie couverte par le bruit des moteurs des avions-citernes.

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L’incendie n436 a été jugé prioritaire en raison de sa proximité avec le village de Saint-Stanislas.

Un groupe de pompiers s’est approché de l’incendie par une route forestière, puis ils ont été transportés encore plus près du brasier par hélicoptère.

« En forêt, l’organisation n’est pas comme celle d’un pompier en ville, explique Josée Poitras, agente aux communications de la SOPFEU. Avec les feux de grande superficie, on doit d’abord aménager des héliports en forêt pour téléporter nos pompiers forestiers. »

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Deux avions-citernes ont participé aux efforts.

Avec de gros boyaux, les pompiers ont puisé de l’eau dans un ruisseau et ils ont encerclé l’incendie. Ils ont dirigé le jet à un mètre dans le feu et à un mètre à l’extérieur de celui-ci. Deux avions-citernes ont participé aux efforts pour faire baisser la hauteur des flammes.

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Patrice Charest donnant des informations à son équipe

C’est un feu qui aurait pu manger bien plus de bois. Les 30 hectares auraient pu devenir 5000 hectares.

Patrice Charest, chef de lutte de la SOPFEU

Pas plus tard qu’il y a deux semaines, Patrice Charest combattait les incendies en Alberta. Il a été rappelé d’urgence avec la flambée des incendies de forêt au Québec.

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Le pilote d’hélicoptère Jonathan Beaumont

« Tout était là pour que ça fasse un gros feu », renchérit le pilote d’hélicoptère Jonathan Beaumont, qui travaille normalement pour une entreprise de forage. Comme les déplacements en forêt sont désormais interdits, ses contrats ont été interrompus et il a offert un coup de main à la SOPFEU comme quelques-uns de ses collègues.

« Le feu, on l’a maîtrisé. Ce matin, je sais qu’il est correct. Il fait dodo et il ne me fera pas de surprise », ajoute Patrice Charest d’un ton satisfait.

Contrôler l’incontrôlable

Lors d’incendies de grande ampleur, l’aéropointeur est essentiel pour gérer les déplacements des avions-citernes et des hélicoptères, raconte Jonathan Beaumont. Ce petit appareil survole les opérations en hauteur et dirige la circulation aérienne.

« C’est comme une tour de contrôle dans les airs. Ça prend ça quand on commence à être quatre, cinq, six, sept hélicoptères et avions-citernes. […] On se fait dire la direction à prendre », explique le pilote, qui a 15 années d’expérience.

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L’équipe de la SOPFEU est partie de l’aéroport régional de Roberval.

Pour stopper les brasiers, l’autre méthode souvent employée est la « ligne mécanisée », ajoute M. Charest. Les mots « tranchée » ou « mur coupe-feu » sont souvent employés dans les médias pour parler de cette stratégie. À Chibougamau et à Lebel-sur-Quévillon, cette tactique est actuellement utilisée.

« Ce ne sont pas vraiment des tranchées comme on se les imagine. Un bouteur [engin à chenilles qui pousse la terre] et un camion-pelle dégagent le chemin. Ils enlèvent tout le combustible pour qu’il ne reste que la terre, le sable ou la glaise au sol », explique le chef de lutte. Quand le feu arrive devant le couloir sans végétaux d’une dizaine de mètres de largeur, il n’a plus rien à brûler sur son passage et il meurt.

Patrice Charest a éteint des centaines, voire des milliers d’incendies en 20 ans de carrière à la SOPFEU. Il a rarement vu des incendies s’approcher aussi près de communautés, de villages et de villes, sauf peut-être en 2005, raconte-t-il.

« Je suis un travailleur de l’ombre depuis 20 ans », dit-il en souriant. « Mais je ne fais pas ce métier-là pour la reconnaissance », s’empresse-t-il de préciser.

« Ce que j’aime, c’est de contrôler un élément incontrôlable. Un feu, c’est incontrôlable, et toi, tu lui dis : “Non, tu n’iras pas là. Tu t’arrêtes là.” Parfois ça fonctionne et parfois ça ne fonctionne pas. Mais quand ça fonctionne, tu es fier de toi. »