Personne ne répond à la ligne téléphonique mise en place par le ministère de l’Éducation pour qui voudrait dénoncer une situation de violence sexuelle dans une école. Au lieu d’une oreille bienveillante, une jeune victime qui prend son courage à deux mains pour dénoncer son agresseur a droit à la chaleur d’une boîte vocale. Au lieu de la confidentialité promise et attendue, on lui demande de laisser son nom et son numéro de téléphone. Après le bip, parlez-nous de votre agression… On vous rappelle !

J’étais stupéfaite en lisant l’article de ma collègue Marie-Eve Morasse sur la ligne 1 833 DENONCE annoncée en grande pompe par le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, qui se disait préoccupé par la multiplication des cas de violence sexuelle rapportés dans le réseau de l’éducation.

En plus de lancer une enquête de « portée générale » (dont la portée réelle demeure encore nébuleuse) annoncée le 21 mars dernier, le ministre a dit vouloir implanter une telle ligne parce qu’il était important que les élèves victimes de violence sexuelle puissent rapporter ces situations confidentiellement et en toute sécurité. « La santé et la sécurité des élèves et du personnel scolaire sont mes priorités et je ne ferai aucun compromis là-dessus », déclarait-il.

Aucun compromis, sauf peut-être celui de la rigueur qui commande de minimalement consulter ceux qui travaillent à la prévention et à la lutte contre les violences sexuelles et qui auraient peut-être pu donner deux ou trois conseils pertinents avant de lancer une ligne 1 833 N’IMPORTE QUOI.

Dès son lancement, la ligne 1 833 DENONCE était déjà critiquée par des élèves et des intervenants. « Ce n’est pas du tout ce qu’on a demandé », a déploré en entrevue à Radio-Canada Alexandra Dupuy, co-coordonnatrice du collectif La voix des jeunes compte, un regroupement d’élèves qui, dans la foulée de #moiaussi, dénonce depuis plus de cinq ans les protocoles inadaptés et le manque de ressources appropriées pour lutter contre les violences sexuelles en milieu scolaire1.

Si toute ressource additionnelle est la bienvenue, encore faut-il qu’elle ne dédouble pas en moins bien ce qui existe déjà, a averti pour sa part Monique Villeneuve, directrice générale du Centre de prévention et d’intervention pour les victimes d’agression sexuelle, dans ce même reportage diffusé le 12 avril dernier.

Devant ces critiques, le ministère de l’Éducation aurait pu d’emblée rectifier le tir pour s’assurer que sa stratégie, aussi bien intentionnée soit-elle, ne rate pas sa cible. Mais non…

Après avoir pris connaissance de l’article de Marie-Eve Morasse, je me suis dit qu’à la première heure vendredi, le ministre Drainville allait saisir au bond cette deuxième chance de rectifier le tir en veillant à ce qu’il y ait au moins un être humain plutôt qu’une boîte vocale au bout du fil. Mais non… Lorsque j’ai appelé au 1 833 DENONCE vendredi, il n’y avait toujours personne.

J’ai envoyé un texto à l’attachée de presse du ministre, pour savoir quelle suite il allait donner à ce qui était rapporté par ma collègue. J’ai eu droit à la même réponse que lorsque j’ai voulu, le mois dernier, poser des questions à M. Drainville sur les écoles vétustes soudainement pas si vétustes2 : aucune réponse.

À ma collègue Marie-Eve, l’attachée de presse a répondu que le ministre juge « inacceptable » que la ligne téléphonique renvoie systématiquement à une boîte vocale3. « Des correctifs seront apportés. »

Il reste à espérer que ces correctifs ne soient pas faits en vase clos, mais en tenant compte de l’expertise des organismes spécialisés dans la lutte contre les violences sexuelles et l’intervention auprès des jeunes.

« C’est vraiment triste de ne pas prendre davantage en considération les victimes et d’offrir une réponse aussi simpliste à un problème social si complexe », me dit la directrice du Centre de prévention et d’intervention pour les victimes d’agression sexuelle.

Si le ministre Drainville avait pris la peine de la consulter, Mme Villeneuve lui aurait dit d’emblée ce que bon nombre de parents savent déjà : les jeunes n’appellent pas, ils textent.

« Je suis maman et grand-maman. Mes petits-enfants ne m’appellent pas ! Ils m’envoient des textos ! »

Si un ado n’appelle même pas sa grand-mère, la probabilité qu’il appelle une boîte vocale impersonnelle du ministère de l’Éducation pour dénoncer une agression est, comment dire… plutôt faible.

Au Centre de prévention et d’intervention pour les victimes d’agression sexuelle, on s’est adapté en conséquence. « Depuis l’automne, on a un cellulaire. Notre intervenante jeunesse reçoit des textos des ados. Chez Tel-jeunes, ça fait longtemps qu’ils l’ont compris. Il y a des lignes 24/7 qui ne sonnent plus depuis des années ! La ligne téléphonique fonctionne encore. Mais il y a longtemps qu’on est passé au texto et au clavardage parce que les ados sont ailleurs. »

Tant qu’à investir dans des ressources, choisissons les bonnes, plaide Mme Villeneuve. Au lieu d’investir dans une ligne téléphonique alors qu’il existe déjà des lignes 24/7, on pourrait par exemple s’assurer d’avoir assez d’intervenants sur le terrain. « Juste sur le territoire de Laval que dessert notre organisme, je n’ai pas assez de personnel pour couvrir toutes les écoles.

« J’aimerais ça qu’il m’appelle, M. Drainville. J’ai plein de choses à lui dire. »

Par téléphone ou par texto, peu importe. Pour autant qu’elle ne tombe pas sur une boîte vocale.

1. Lisez l’article « Ligne téléphonique 1 833 DENONCE : “Ce n’est pas du tout ce qu’on a demandé” » 2. Lisez la chronique « Lâchez-nous avec les écoles vétustes ! » 3. Lisez l’article « Ratés de la ligne 1 833 DENONCE : Drainville promet “des correctifs” »