Personne ne répond à la ligne téléphonique mise en place par le ministère de l’Éducation pour dénoncer une situation d’inconduite ou de violence sexuelle dans une école. Même pendant les heures d’ouverture, en semaine de 8 h 30 à 16 h 30, les plaignants doivent laisser un message dans une boîte vocale et attendre qu’on les rappelle. Ce n’est pas « vraiment utile », dit un organisme qui travaille avec des victimes d’agression.

Plus d’une semaine après l’annonce de ce service, La Presse a appelé une demi-douzaine de fois au 1 833 DENONCE pour savoir s’il y avait quelqu’un au bout du fil. Il a été impossible de parler à quelqu’un de vive voix.

Nous avons systématiquement été renvoyée à un message automatisé qui fournit d’abord des informations générales. « Pour faire un signalement concernant une victime d’âge mineur, adressez-vous dès que possible au bureau de la DPJ de votre région », dit-on, sans donner de numéro de téléphone ou de courriel.

On invite ensuite les appelants à composer le 911 « si la situation nécessite une intervention urgente », puis on donne le numéro d’Info-aide violence sexuelle.

Finalement, la voix féminine dit de laisser un message « pour dénoncer une situation d’inconduite sexuelle ou de violence » subie ou observée dans une école.

« Merci de nous fournir vos nom, prénom, et numéro de téléphone », ajoute-t-elle, tout en assurant que le service est « rigoureux et confidentiel ».

Qui rappelle ? Le ministère de l’Éducation précise qu’il s’agit de « trois personnes » et que les appels sont « reçus par l’équipe attitrée au traitement des plaintes au Ministère ».

En une semaine, 17 appels ont été faits à ce numéro, « cependant, la majorité des appels reçus étaient des demandes d’informations, des plaintes ou des commentaires sur des sujets d’actualité non liés au mandat général d’enquête », écrit sa porte-parole Esther Chouinard.

Avoir une réponse, « c’est essentiel »

Le message automatisé du ministère de l’Éducation renvoie à la ligne « d’Info-aide violence sexuelle » du Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal.

À toute heure du jour, cette ligne destinée aux victimes ou à leurs proches a deux personnes qui peuvent répondre aux appels. La directrice générale du centre dit que « c’est essentiel » pour son organisme qu’il y ait quelqu’un au bout du fil.

« Notre mandat, c’est d’offrir de l’écoute et donner des informations », dit Deborah Trent. « Ma plus grosse crainte, c’est qu’il n’y ait personne pour répondre », ajoute-t-elle.

Que ce soit un jeune, un prof, ou une personne agressée il y a 15 ans, quand elle prend le téléphone pour appeler et communiquer avec quelqu’un, c’est réfléchi. Tu veux avoir quelqu’un qui soit capable de te recevoir.

Deborah Trent, directrice générale du Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal

Ainsi, contrairement à la ligne téléphonique du ministère de l’Éducation, celle d’Info-aide violence sexuelle ne renvoie jamais à une boîte vocale. Ceux qui utilisent ce numéro n’ont pas à s’identifier.

Sensibilisation dans les écoles

Directrice générale du Centre de prévention et d’intervention pour les victimes d’agressions sexuelles, Monique Villeneuve observe qu’« une boîte vocale qui répond, ce n’est pas vraiment utile ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Monique Villeneuve, directrice générale du Centre de prévention et d’intervention pour les victimes d’agressions sexuelles

« Faire un dévoilement, ça prend beaucoup de courage, quel que soit l’âge de la personne. Faire un dévoilement à une boîte vocale… » Monique Villeneuve observe un silence, pèse ses mots. « … Ce n’est pas une intervention sociale à privilégier », dit-elle.

Son organisme va dans les écoles primaires et secondaires pour faire de la sensibilisation. Depuis que les visites dans les classes ont repris après une pause causée par la pandémie, le nombre de demandes d’aide a augmenté.

« Le fait qu’on aille directement dans les écoles fait toute une différence », dit Mme Villeneuve. « Il faut [que les jeunes] puissent se référer à une personne de confiance », dit-elle.

Elle aurait souhaité que le ministre de l’Éducation consulte les organismes avant de mettre sur pied cette ligne. Bernard Drainville, dit-elle, a « dédoublé une structure » qui existe déjà.

« Il y a tellement de besoins en matière de violences sexuelles, investissons-les au bon endroit », dit Monique Villeneuve.

De nombreux scandales

Le lancement de la ligne téléphonique 1 833 DENONCE survient au moment où le ministère de l’Éducation mène une « enquête générale » sur de nombreux cas d’inconduite sexuelle touchant le réseau scolaire depuis quelques semaines. Au lancement de la ligne téléphonique, la semaine dernière, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, s’est dit « préoccupé » par la multiplication des cas de violence, tout en rappelant que son ministère ne peut « se substituer aux corps policiers » en cas d’infraction criminelle.