Commençons par un rectificatif. Dans une chronique sur le courage de Catherine Fournier, j’écrivais mercredi que les temps avaient changé1.

Il n’y a pas si longtemps, on aurait trouvé qu’une femme qui accepte de s’allonger au côté d’un homme l’aurait forcément un peu cherché. Heureusement, la société a évolué, arguais-je avec un brin de naïveté.

Pour l’évolution, j’ai le regret de vous annoncer que ce n’est pas encore tout à fait ça. Pas si je me fie à ma boîte de courriels, qui m’a violemment propulsée en 1983. Peut-être même en 1953.

Vous croyez que j’exagère ? Voici, amis lecteurs, quelques-uns des messages que j’ai reçus. Je vous retrouve après les extraits, si vous êtes encore là.

Michel, péremptoire : « Je souhaite que les femmes en général comprennent que de coucher chez un étranger, même un député notoire, surtout chez un individu de 30 ans son aîné, se terminera par une agression, surtout dans le même lit. La nature humaine est ainsi faite. Aujourd’hui, Madame Fournier est la seule responsable de son malheur. »

Francine, laconique : « Pauvre con qui se fait charmer par une petite garce ambitieuse. »

Marcel, incrédule : « Pas un cri pour alerter une amie dans la chambre adjacente, un téléphone à la police ? S’habiller et quitter les lieux, car M. LeBel ne la séquestrait pas, semble-t-il ? »

Pierre, indigné : « Clairement, elle n’était pas enchaînée à son lit… rien ne l’obligeait à rester et subir ce qu’elle dit avoir subi. ELLE N’AVAIT QU’À DIRE NON ET CRISSER SON CAMP DE LÀ. »

Daniel, sceptique : « J’étais figé, qu’elle raconte… je ne la crois pas. Elle est majeure et vaccinée à ce que je sache, son silence et sa présence dans ce lit sont un signe évident de consentement. Si j’étais à la place du monsieur je poursuivrais cette madame. »

Thérèse, découragée : « J’ai hâte que les filles de cette génération soient plus dégourdies et moins naïves. Elles sont supposées être informées, je n’en reviens pas. Nous sommes en 2023, réveillez-vous et faites preuve d’intelligence. »

France, résolue : « Une chose est certaine, je ne voterai pas pour elle aux prochaines élections. Je ne crois pas qu’une femme qui a peur de repousser les avances d’un homme ait assez de colonne pour diriger une ville. »

Luc, ampoulé, s’adressant à la mairesse : « Pourquoi votre amie, de même que vous, n’avez-vous pas enjoint l’ex-député de ne point porter atteinte à votre pudeur, à défaut, de sévir contre lui ? »

On a beaucoup salué le courage de Catherine Fournier depuis qu’elle a décidé de sortir de l’ombre.

J’ai pris toute la mesure du courage dont elle devra faire preuve en épluchant ma boîte de courriels. La politicienne était sans doute prête à ce genre de réactions. N’empêche. De tels préjugés donnent froid dans le dos. Blâmer la victime, en 2023, vraiment ?

Ah, vous ne la croyez pas? Harold LeBel a pourtant subi un procès. Un jury, donc 12 citoyens anonymes de Rimouski, ont rendu leur verdict : coupable. L’ex-député a été condamné à la prison. Il a dit regretter ses gestes.

Il l’a agressée sexuellement. C’est lui, le coupable. Pas elle.

« Moi, vous m’auriez mise dans cette situation-là, il va t’arriver telle chose, telle chose, c’est évident que j’aurais répondu : ben voyons donc ! Je me serais levée, je me serais sauvée, j’aurais crié… »

Catherine Fournier l’a elle-même confié à l’animateur Paul Arcand, mercredi : elle n’aurait pas cru réagir comme elle l’a fait, lors de cette nuit d’octobre 2017.

Mais oui, elle a figé. Par peur. Et parce qu’Harold LeBel était cette nuit-là un homme « totalement différent » de celui qu’elle connaissait. Elle s’est mise en « mode de protection ».

« J’ai eu peur, si je faisais quelque chose, que la situation dégénère encore plus, d’autant qu’un peu plus tôt dans la soirée, il avait démontré beaucoup d’agressivité », a-t-elle expliqué au micro du 98,5 FM.

Toujours pas convaincus ? Tournez-vous vers la science. Figer est l’une des réactions les plus courantes des victimes d’agression sexuelle. « Le premier réflexe du cerveau est de figer. La victime fige lorsque l’amygdale détecte une menace et indique au tronc cérébral de bloquer les mouvements », lit-on dans un rapport présenté à Justice Canada en 20192.

Sous l’effet d’un stress intense, la victime n’a pas les moyens de faire une « évaluation calculée et rationnelle de la situation ». Elle perd l’usage de ses fonctions d’exécution. Son cerveau n’arrive plus à prendre des décisions, lit-on dans le rapport, rédigé par une psychologue et une professeure de droit.

Ces réactions psychologiques et neurologiques courantes expliquent pourquoi une victime d’agression sexuelle ne va pas se défendre, crier ou s’enfuir.

Le système de justice a fini par comprendre ça. Même que le Québec s’est doté de tribunaux spécialisés en matière d’agressions sexuelles, pour mieux épauler les victimes.

Et surtout, pour ne plus les blâmer.

1. Lisez la chronique « Catherine Fournier au bout de la nuit » 2. Consultez le rapport « L’incidence des traumatismes sur les victimes d’agressions sexuelles d’âge adulte »