Pour Catherine Fournier, cela a été une « nuit interminable ». Mais au bout de la nuit, au bout d’un long processus judiciaire, il y avait, fort heureusement, de la lumière.

La mairesse de Longueuil est sortie de l’ombre, mardi, en révélant qu’elle était bien celle que l’ex-député Harold LeBel avait agressée sexuellement, lors de cette interminable nuit du 20 octobre 2017. Toute la classe politique a salué son courage. Et pour cause.

Du courage, il en fallait, énormément, pour dénoncer cette grosse pointure péquiste. Catherine Fournier avait apparemment tout à perdre.

Lui, c’était « l’ami de tout le monde », pilier du Parti québécois depuis plus de 30 ans. Elle, c’était la petite nouvelle de 25 ans, élue sous la bannière péquiste quelques mois plus tôt.

Pendant trois ans, Catherine Fournier s’est donc cloîtrée dans le silence. « Je ne voulais pas de troubles. Je ne voulais pas causer de vagues », a-t-elle expliqué au procès. Elle trouvait « plus simple de faire comme si ce n’était pas arrivé ».

Combien de femmes, aujourd’hui, se reconnaissent dans ces mots-là ? Combien ont eu le même réflexe, par instinct de survie professionnelle ?

Catherine Fournier, l’une des plus brillantes politiciennes de sa génération, voulait poursuivre sa carrière sans être affectée par cette affaire. Elle n’avait pas envie de porter une étiquette. Pas envie d’être perçue comme une victime. On la comprend.

Elle a gardé le silence pour ne pas nuire au Parti québécois. À la cause souverainiste. Et à sa propre carrière.

La bonne nouvelle, c’est qu’elle a fini par réaliser que ses craintes n’étaient pas fondées.

Ce n’étaient pas, non plus, des craintes irrationnelles. Loin de là.

Certes, Harold LeBel a été reconnu coupable. Mais pour le même crime, il n’y a pas si longtemps, le tribunal l’aurait probablement innocenté. On peut fort bien imaginer que l’affaire n’aurait même pas été portée devant un juge.

Il n’y a pas si longtemps, on aurait trouvé qu’une femme qui accepte de s’allonger aux côtés d’un homme l’aurait forcément un peu cherché.

On n’aurait pas cru que cette femme puisse être restée figée pendant des heures alors que son agresseur la touchait. On se serait demandé pourquoi elle ne s’était pas enfuie à toutes jambes, au cœur de la nuit rimouskoise.

On n’aurait pas compris la peur qui tétanise.

Le système, en tout cas, ne l’aurait pas crue. Il aurait jugé la preuve insuffisante. Ç’aurait été la parole du bon vieux député contre celle de la victime fragile, imparfaite.

Mais les choses ont changé. La justice criminelle, en matière d’agressions sexuelles, a évolué. Catherine Fournier a eu le courage de dénoncer – et on l’a crue. Le système l’a crue. Mieux : il l’a soutenue tout au long du processus judiciaire.

Et son agresseur s’est retrouvé à l’ombre.

Si Catherine Fournier a décidé de briser le silence, c’est qu’elle espère inciter d’autres victimes à porter plainte.

Des victimes qui hésitent à se lancer dans un lourd et tortueux processus judiciaire. Peut-être considèrent-elles plutôt se tourner vers le tribunal populaire des réseaux sociaux, avec tous les risques de dérapages que cela implique…

Catherine Fournier veut que ça se sache : elle ne regrette pas d’avoir emprunté les voies officielles de la justice.

Il y a bien eu quelques couacs – dont la gestion chaotique de l’ordonnance de non-publication de son identité – mais, dans l’ensemble, elle se dit « fière d’être passée par là » et sort de l’expérience « la tête haute, bien au-delà du verdict ».

Elle veut désormais « faire œuvre utile » en racontant son parcours. Et remercier au passage les « êtres humains extraordinaires » qui l’ont épaulée : les policiers, les procureurs, les intervenants du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels.

Pas un mot de gratitude, cependant, pour ses ex-collègues de l’Assemblée nationale.

Dans une interview à La Presse, la mairesse de Longueuil déplore au contraire le « manque de solidarité » des élus à son endroit. « Personne n’a rien dit, personne n’a vraiment posé de question », regrette-t-elle.

Quand Harold LeBel a été formellement accusé d’agression sexuelle, le 15 décembre 2020, l’Assemblée nationale aurait pu le suspendre, estime la jeune femme. Elle l’a plutôt laissé siéger comme député indépendant.

Catherine Fournier n’a toutefois rien à reprocher au PQ et à son chef, Paul St-Pierre Plamondon, qui a chassé Harold LeBel du caucus moins d’une heure après son arrestation.

Le chef péquiste a ensuite ordonné à ses troupes de ne pas contacter Catherine Fournier. Son objectif n’était pas d’isoler la politicienne – qui siégeait alors comme indépendante –, mais de ne pas nuire au processus judiciaire en cours. Une position prudente, qui se défend parfaitement.

Personne, au PQ, n’avait été mis au courant de cette affaire avant l’arrestation d’Harold LeBel. Catherine Fournier n’avait pas osé se plaindre auprès des instances supérieures du parti. Elle craignait d’être « perçue comme celle qui était venue foutre le trouble au sein du caucus ».

Mais ce n’était pas elle qui avait foutu le trouble.

C’était ce bon vieux député de Rimouski.

La honte a changé de camp.

Dans les prochains jours, vous entendrez beaucoup Catherine Fournier. Dans un documentaire sur son parcours judiciaire. Dans de multiples interviews aux médias. « J’ai tellement de choses à dire que je ne sais pas trop par où commencer », a-t-elle confié mardi.

Elle a le courage de prendre la parole. Il faut l’écouter. Pour qu’un jour, peut-être, ça ne soit plus courageux de dénoncer. Pour que ça devienne, simplement, la chose à faire.