C’est quoi, au juste, la Fondation Pierre Elliott Trudeau ? C’est un organisme de bienfaisance qui s’est donné pour mission d’octroyer des bourses d’études liées à des thèmes chers à l’ancien premier ministre, dont les « droits de la personne et [la] dignité humaine ».

Question à 200 000 $, maintenant : quel intérêt une dictature comme la Chine peut-elle bien avoir à faire pleuvoir les dollars sur un organisme dont l’un des objectifs consiste à faire la promotion des droits de la personne ?

Ne me dites pas que, tout d’un coup, ce régime autoritaire et terriblement répressif a soif de plus de justice et de démocratie à travers le monde. Alors quoi ?

Alors, une explication se dessine, toujours un peu plus précisément au fil des enquêtes journalistiques : après l’accession de Justin Trudeau à la tête du Parti libéral du Canada, en 2013, la Chine a essayé de le mettre dans sa poche en faisant un don de 200 000 $ à la fondation qui porte le nom de son père.

Ce don, tout comme celui de 800 000 $ promis à la faculté de droit de l’Université de Montréal – une statue de Trudeau père en prime – s’inscrit clairement dans les multiples tentatives d’ingérence de Pékin dans les affaires politiques canadiennes.

Justin Trudeau se défend : depuis 10 ans, il n’a pas été impliqué dans les affaires de la Fondation Trudeau. Il n’a jamais rien su de cette histoire de « don chinois ».

Dès novembre 2016, pourtant, le bureau du premier ministre a voulu en savoir davantage sur ce fameux don, a révélé un échange de courriels mis en lumière par La Presse cette semaine.

Peut-être le bureau du premier ministre est-il simplement allé aux nouvelles auprès de la Fondation afin d’être prêt à répondre aux médias, qui posaient déjà des questions. Mais tout de même, cette muraille de Chine entre la Fondation Trudeau et le premier ministre ? Pas si étanche que ça, on dirait bien.

Sur son site web, la Fondation Trudeau se décrit comme un « organisme de bienfaisance indépendant et sans affiliation politique, créé en 2001 pour rendre hommage à l’ancien premier ministre ».

Je veux bien croire à l’indépendance de cette fondation. Il n’en reste pas moins qu’elle porte le nom de l’actuel premier ministre. Et que Pékin a jugé opportun d’y faire un don substantiel au moment où Trudeau fils s’apprêtait à prendre le pouvoir.

Il faut être naïf pour n’y voir qu’une coïncidence.

Selon le Globe and Mail, le Service canadien du renseignement de sécurité a intercepté une conversation montrant que dès 2014, Pékin manigançait pour flatter le chef libéral dans le sens du poil.

Dans cette conversation, un diplomate chinois demandait à Zhang Bin, riche homme d’affaires, de financer la Fondation Trudeau. Le don, promettait le diplomate, lui serait remboursé.

La Fondation Trudeau n’était évidemment pas au courant de cette conversation en 2016. Reste qu’elle a accepté le don avec beaucoup trop d’empressement.

À l’époque, il fallait l’approuver en vitesse, semble-t-il. On n’avait pas trop le temps de vérifier d’où provenaient tous ces beaux dollars. Il fallait signer le contrat. C’est Alexandre Trudeau, frère du premier ministre, qui a conclu l’entente.

Les administrateurs de la Fondation ont-ils été exagérément naïfs ? Comment ont-ils pu accepter de délivrer un reçu fiscal au nom d’une entreprise tout en attribuant le don à d’autres donateurs ?

Vendredi, le président du conseil d’administration de la Fondation, Edward Johnson, a demandé à la vérificatrice générale du Canada de réaliser un audit sur sa gestion des dons. Tant mieux. Il faut impérativement faire toute la lumière sur ce scandale.

Pour le moment, l’information nous provient par bribes, à mesure que des enquêtes journalistiques lèvent le voile sur la « bombe puante » qui a fait imploser la Fondation Trudeau, entraînant la démission de huit administrateurs et quatre membres de la haute direction.

Finalement, l’Université de Montréal n’aura jamais érigé de statue à la mémoire de Pierre Elliott Trudeau. Pas plus qu’elle n’aura érigé de statue à la mémoire de… Mao Zedong, comme l’avaient souhaité au départ ses généreux donateurs chinois.

À l’époque, l’UdeM avait refusé net. C’était pousser le bouchon trop loin. Vrai, le Grand Timonier a reçu Pierre Elliott Trudeau en Chine. Mais le leader communiste est beaucoup plus connu pour son Grand Bond en avant, responsable de la mort de 45 millions de Chinois. Et pour sa révolution culturelle, au cours de laquelle des millions d’autres Chinois ont été persécutés…

Imaginez si l’Université de Montréal, au nom de l’amitié entre les peuples, avait érigé une statue de Mao sur son campus. Imaginez le scandale…

Mais un « don chinois » de 800 000 $, en 2016, ce n’était pas scandaleux. Ce don a même été annoncé, médiatisé, célébré. Une photo officielle montre le recteur de l’époque, Guy Breton, tout sourire, entouré d’Alexandre Trudeau et de plusieurs hommes d’affaires et diplomates chinois.

Depuis, le vent a tourné. Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, a été détenue au Canada à la demande des États-Unis, qui réclamaient son extradition. En représailles, la Chine a tenu en otage les Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig.

Justin Trudeau, qui avait avoué son admiration pour la dictature chinoise en 2013, a fini par perdre sa naïveté. Révolu, le temps où on imaginait qu’une collaboration avec la Chine mènerait à une transition démocratique. Les relations entre les deux pays se sont obscurcies.

En fait, plus le temps passe, plus la Chine est perçue comme une menace. On a fini par comprendre que Xi Jinping, ce président qui entretient le culte de la personnalité et qui ne supporte aucune dissidence, était le digne héritier de Mao Zedong.

Il ne mérite pas de statue.

Il ne mérite pas davantage que l’on accepte son argent.

Vendredi, après de multiples tentatives dignes d’un étrange vaudeville, la Fondation Trudeau a finalement pu retourner le don embarrassant à son expéditeur.

C’est presque dommage. J’aimais bien la suggestion du député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe, devant l’apparente impossibilité de retourner le chèque à Pékin : « Pourquoi ne pas le donner aux victimes de ce même régime ? Les Ouïghours ou les Tibétains en exil, par exemple. »

Ainsi, la Fondation Trudeau aurait réellement pu remplir sa mission de défense des droits de la personne.