Le Canada comptera bientôt 40 millions d’habitants. Alors pourquoi Justin Trudeau a-t-il tant de difficulté à nommer à des postes indépendants des gens qui n’ont aucun lien avec sa famille ? Ou à éviter ceux qui ne risquent pas d’attirer la controverse ?

Ses nominations maladroites continuent de s’accumuler.

Pour enquêter sur les tentatives d’ingérence de Pékin, M. Trudeau a d’abord nommé Morris Rosenberg, ancien PDG de la Fondation Trudeau qui a reçu un don commandité par Pékin. Puis pour savoir si une enquête publique serait nécessaire, il a commandé un avis à un « rapporteur spécial », David Johnston. Un ex-administrateur de la fondation et un vieil ami de la famille.

Enfin, comme commissaire intérimaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, il a choisi Martine Richard, belle-sœur de son proche ami et ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc.

Je ne doute pas de la compétence de ces trois personnes. Mais je suis convaincu qu’à travers le Canada, il aurait été possible de trouver des individus d’une qualité égale qui n’ont pas de lien avec le gouvernement ou la famille Trudeau.

Le premier ministre accuse l’opposition de salir ces individus. C’est plutôt lui-même qui les a placés dans une position délicate.

Ce serait plus facile à comprendre si ces choix avaient un but. Mais je ne vois pas à quoi ils servent. Les libéraux étaient si confiants en eux-mêmes qu’ils n’ont pas testé cette hypothèse improbable à leurs yeux : et si, cette fois, on avait un peu tort ?

Pour le chef conservateur Pierre Poilievre, c’est un cadeau inespéré. Le pitbull a fait ce qu’il fait le mieux : mordre.

Son année 2023 était au mieux ordinaire.

Ses relations avec les provinces sont froides, quand elles existent… François Legault ne l’a même pas rencontré. Doug Ford semble plus désireux de cultiver son amitié avec la vice-première ministre Chrystia Freeland que de se montrer avec M. Poilievre. Et en Colombie-Britannique, le premier ministre néo-démocrate n’a aucun atome crochu avec M. Poilievre qui a décrit sa gestion de la crise des opioïdes comme un « désastre » et un « enfer sur terre ».

C’est pourtant dans ces trois provinces que les conservateurs doivent faire des gains pour prendre le pouvoir. Plus de votes en Alberta ne changeraient rien.

Même si M. Poilievre mène dans les sondages, son avance demeure fragile. En campagne électorale, ses faiblesses seront exposées. Il est habile pour japper. Mais proposer ? Ça, il connaît moins. Il n’a jamais réussi à détailler de façon convaincante ses idées, par exemple pour améliorer l’accès au logement, réduire les émissions de gaz à effet de serre et piloter la transition énergétique.

Certes, il adore parler d’économie. Il défend le conservatisme fiscal et prône le retour à l’équilibre budgétaire. Le dernier budget, qui renonce à atteindre le déficit zéro même d’ici cinq ans, lui donne des munitions. Mais c’est en même temps un piège. Car plus les libéraux creusent le déficit, plus l’effort requis pour l’éliminer sera important, et plus M. Poilievre devra préciser où il ferait des coupes.

Heureusement pour M. Poilievre, le gouvernement Trudeau ne retient pas beaucoup l’attention pour ce qu’il fait au Parlement. Il passe d’un feu à l’autre, et il les propage en essayant de les éteindre.

Chaque fois qu’on parle de la Fondation Trudeau, on renforce l’idée que le premier ministre est un héritier, un membre de l’élite.

C’est cet os que M. Poilievre ronge maintenant avec délice. Et il réussit à y mordre sans se faire mal.

Quand M. Trudeau a choisi Amira Elghawaby comme représentante spéciale à la lutte contre l’islamophobie, M. Poilievre était dans une position délicate. Même si cette femme était critiquée par tous les partis à l’Assemblée nationale à cause de ses propos sur les Québécois, ailleurs au pays, elle avait des alliés. Mais il a eu de la chance – M. Trudeau a trouvé une candidate parfaitement controversée qui avait aussi attaqué la reine et la police, entre autres. Alors il a pu l’attaquer sans s’aliéner les communautés culturelles qui avaient permis à Stephen Harper de gagner son seul mandat majoritaire en 2011.

M. Trudeau a raison quand il met en garde contre le racisme antichinois, qui a augmenté durant la pandémie et qui risque de s’aggraver à cause des allégations d’ingérence du Parti communiste. Mais M. Poilievre utilise un langage prudent. Il parle du « régime de Pékin », et non des Chinois, afin de distinguer le Parti communiste des citoyens et de la diaspora qui en sont les premières victimes.

Pour reprendre le pouvoir, la stratégie des conservateurs est simple : miser sur l’usure des libéraux, les dépeindre comme une élite déconnectée et s’en tenir à un nombre limité de priorités, essentiellement des slogans sur l’économie.

Mais ils ne croyaient pas que les libéraux s’autopeluredebananiseraient avec des controverses éthiques et des nominations malhabiles.

M. Trudeau n’est pas responsable des ingérences de Pékin, il en est victime. Mais par sa gestion maladroite de l’affaire, il s’est assis lui-même au banc des accusés.