(Ottawa) Plongés dans la tourmente en raison d’allégations concernant le don fait par un milliardaire chinois lié à Pékin, le conseil d’administration de la Fondation Pierre Elliott Trudeau ainsi que sa présidente-directrice générale Pascale Fournier démissionnent en bloc.

« Au cours des dernières semaines, le climat politique entourant un don reçu par la Fondation en 2016 a mis beaucoup de pression sur la direction et le conseil d’administration bénévole de la Fondation, ainsi que sur notre personnel et notre communauté », lit-on dans un communiqué publié mardi sur le site de l’organisation.

« Les circonstances créées par la politisation de la Fondation ont rendu impossible le maintien du statu quo, et le conseil d’administration bénévole a démissionné, de même que la présidente-directrice générale », y ajoute-t-on.

En attendant le renouvellement du conseil d’administration, trois administrateurs ont accepté de rester sur une base intérimaire afin que la Fondation puisse continuer à remplir ses obligations, a-t-il été précisé dans la même déclaration.

Un don controversé

L’organisme a été éclaboussé en février dernier, après que le quotidien The Globe and Mail a rapporté que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) aurait intercepté une conversation entre un attaché commercial d’un consulat chinois et le richissime homme d’affaires chinois Zhang Bin.

L’échange de 2014 portait sur l’élection à venir en 2015, et la possibilité que les libéraux de Justin Trudeau aient le dessus sur les conservateurs de Stephen Harper. Un ordre aurait été donné à Zhang Bin par Pékin : faire un don d’un million de dollars à la Fondation Trudeau, en échange de remboursement.

Un an plus tard, en 2016, le milliardaire et un deuxième riche homme d’affaires chinois offraient 1 million de dollars pour honorer la mémoire de l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau, y compris un chèque de 200 000 $ à la Fondation.

L’existence de ces contributions était connue, mais pas le contexte dans lequel elles s’inscrivaient.

En raison de la controverse suscitée par cette histoire, l’organisation a annoncé qu’elle rembourserait le don peu après. « À la lumière de ces allégations récentes, la Fondation a procédé au remboursement du montant intégral du don reçu directement au donateur », a déclaré Pascale Fournier le 1er mars dernier.

Justin Trudeau était membre de la Fondation portant le nom de son père, qui a été créée en 2002, mais il s’en est retiré après son élection comme chef du Parti libéral du Canada, en 2013. Son frère, Alexandre Trudeau, en est toujours membre.

Trudeau contre-attaque

Invité à commenter ce rebondissement, le premier ministre a pointé du doigt ses rivaux conservateurs. « C’est désolant de voir le niveau de toxicité et de polarisation politique dans notre pays ces temps-ci », a-t-il laissé tomber avant d’aller plus loin lorsqu’on l’a relancé.

Il a blâmé les « attaques des politiciens conservateurs » visant d’après lui à « rendre encore plus toxiques nos débats publics et augmenter le niveau de polarisation » afin d’obtenir « des gains politiques à court terme aux dépens d’organismes et d’individus qui servent leur pays et le bien commun ».

Le premier ministre Trudeau, qui était en conférence de presse à Toronto en compagnie de son homologue ukrainien Denys Shmyhal, a néanmoins assuré qu’il avait confiance que la Fondation serait en mesure de poursuivre ses activités.

PHOTO COLE BURSTON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre ukrainien Denys Shmyhal et le premier ministre canadien Justin Trudeau, à Toronto.

L’opposition persiste et signe

Le chef conservateur Pierre Poilievre, lui, estime que ces démissions justifient l’ouverture d’une enquête.

« Nous devons enquêter sur la Fondation Trudeau financée par Pékin. Nous devons savoir qui est devenu riche, qui a été payé et à qui Justin Trudeau a offert privilège et pouvoir grâce au financement de la Fondation Trudeau », a-t-il écrit sur Twitter.

La Fondation Trudeau offre des programmes de bourse, de mentorat et de fellowship. Elle n’est pas financée par Pékin.

Au Bloc québécois, on juge que ces départs rendent encore plus « incontournable » l’ouverture d’une enquête publique sur l’ingérence chinoise dans le processus démocratique canadien. On demande donc « encore et avec davantage d’insistance » la révocation du mandat confié à l’ancien gouverneur général David Johnston.

Ce dernier, qui était membre de la Fondation, doit recommander au gouvernement Trudeau d’ici le 23 mai prochain si une enquête publique doit être ouverte ou pas. Le premier ministre s’est engagé à respecter les conclusions de l’étude de David Johnston.

Un comité de la Chambre des communes poursuit ses travaux sur la question. Un témoignage attendu, celui de Katie Telford, la cheffe de cabinet de Justin Trudeau, est prévu pour vendredi devant le Comité de la procédure et des affaires.